Année 2001 - Semaines 11 à 20

Fernand et Jorge

Soyons francs : De la Marne au Danube, de Fernand Wiszner, ne restera pas comme un chef d'œuvre de la littérature contemporaine. Sur le même sujet, partout ailleurs dans le monde éclairé des amateurs de beaux ou grands textes, on se penchera plutôt sur Le mort qu'il faut de Jorge Semprun.
Et pourtant. La concordance des dates de parution (ce sinistre mois d'avril pour les deux livres) ne saurait rester leur seul point commun. Il en est bien d'autres qui rapprochent le journaliste haut-marnais, légitime fierté d'une profession, et l'illustre écrivain franco-espagnol membre de l'académie Goncourt. En rééditant le témoignage sur l'arrestation (à Chaumont), l'incarcération (au Val Barizien), la déportation et la survie en camps de concentration d'un Haut-Marnais bien de chez nous, le Pythagore, éditeur haut-marnais tout aussi bien de chez nous, met le doigt là où ça fait encore mal. Où ça devrait faire encore mal.
Ce qui passe pour la pire abomination de l'histoire ne saurait devenir un sujet de thèse, de débat sur Arte entre savants universitaires, la sortie annuelle de porte-drapeaux arthritiques. Ce drame là a touché cette terre-là. Des "gens biens" d'ici ont donné des noms d'ici ; la barbarie les a avalé. Même des enfants. Fernand Wiszner et Jorge Semprun, eux, relèvent du miracle.
Il faudrait lire dans les écoles d'ici des extraits du texte du journaliste haut-marnais. Pas sur ce qui décrit de Compiègne ou d'Allemagne ! Trop facile, trop horrible. Mais plutôt sur les mots qu'il trouve pour évoquer le réconfort qu'il a trouvé dans l'amitié, la solidarité, alors qu'il attendait le pire dans sa geôle chaumontaise. «J'en pleurai» confie Fernand Wiszner. La barbarie a commencé ici, chez nous. Ne l'oublions pas. L'héroïsme aussi. Ne l'oublions pas moins. Et pas seulement demain.
De la Marne au Danube. Fernand Wiszner. Le Pythagore. 150 p. 95 francs. 14,48 euros.
Le mort qu'il faut. Jorge Semprun. Gallimard. 98 francs. 14, 94 euros.

Les perdantes et les gagnants

Comment désespérer de ce département : en observant les pratiques de ses (petits) politiques. Comment espérer en ce département : en relevant les signes qu'envoie une certaine société civile.
Pour les premiers nommés, une fois n'est pas coutume, deux femmes vont faire les frais de ce prurit hebdomadaire. A Chaumont, Dominique Serra démissionne. Elle explique le plus sérieusement du monde qu'il lui serait difficile de travailler avec ceux que les urnes ont désigné. On a envie de lui dire : "il ne fallait pas vous présenter". On a envie d'ajouter : "vous faites bien peu de cas des voix (presque une sur deux) qui se sont portées sur votre nom. Et d'ajouter : "Madame, un électeur, ça se respecte. La démocratie, ça se respecte. Une ville, ça se respecte".
D'un coup de souris colérique, on pourrait faire du "copier-coller" à Langres. Marie-Odile Jacques y crée une association. Elle précise : «sans esprit de revanche». Nul n'en doute… Cela dit, les urnes ont là aussi délivré leur verdict. Après le camouflet, l'opposition camouflée ne cache plus du tout les luttes fratricides et ambitions personnelles qui rongent la gauche de derrière les remparts. Le Général expliquait jadis que la France avait à cette époque la droite la plus bête du monde. A Langres, aujourd'hui, la gauche fait pas mal non plus !
L'espoir, il faut aller le chercher cette semaine dans les rangs de la Confédération paysanne ou encore chez ceux qui vont – on les en prie – donner vie, sens, raison d'exister à la plate-forme technologique. Dans les deux cas, les représentants élus de la Ville, du Département et de la Région ont fait le déplacement. Dans les deux cas, des professionnels avancent des solutions raisonnables, constructives, pour dégager un horizon bien sombre. Notre avenir commun gagnerait à ce que l'on accorde à la réflexion de ceux-ci plus d'attention qu'au dépit de celles-là.

Imagination

Le nouveau conseil général de Haute-Marne s'est réuni cette semaine. Il a désigné son président ; celui-ci a tenté l'option "ouverture consensuelle" dans son discours inaugural. Sur le papier, dans les mots, bref, en théorie, on part sur de bonnes bases.
Le problème est qu'on est toujours parti sur de bonnes bases, avec des conseillers généraux foncièrement honnêtes. Or, ces bonnes bases théoriques valent à la Haute-Marne d'être un département qui perd plus mille habitants par an.
Les précédentes déclarations d'intentions de tous, conseillers génaux, maires, députés de droite ou de gauche ont toujours été bienveillantes, nous caressant dans le sens du poil. On se retrouve aujourd'hui avec un taux de mortalité (10,1) supérieur aux taux régional (9,3) et national (9). On écope d'une mortalité infantile (5,7) supérieure aux moyennes régionale (4,2) et nationale (4,78). Plus de 11 % de nos jeunes sortent du système scolaire sans formation (8% au niveau national !). A part cela, tout va très bien, madame la marquise. Certains, voire beaucoup envisagent rien moins que continuer à faire de la politique comme on la pratique depuis quelques décennies avec les résultats objectifs que l'on sait.
Il est pourtant des raisons d'espérer. La "société civile" frémit. Signe des temps, on entend les mots "jeunes, formation" prononcés  dans de plus en plus de discours.
Bruno Sido dispose d'une telle marge de manœuvre qu'il peut en toute sérénité violenter sa majorité indolente. Elu comme il l'a été, François Cornut-Gentille peut imposer une nouvelle donne sans risque  d'indisposer grand'monde. La gauche du sud Haute-Marne n'a que Jean-Claude Daniel pour la conduire. Sans concurrence, il peut, il doit insuffler enfin autre chose qu'une raisonnable et prudente réserve dans la gestion de la "chose publique", expression policée qui veut dire "nous".
Messieurs, les Haut-Marnais vous ont élu. Donnez-leur raison en mettant, vous, l'imagination au pouvoir.

Paradoxe

Tout à l'heure, vous irez voter. Sans doute ; peut-être… Chacun des suffrages choisi dans le secret de l'isoloir comptera pour une modeste part dans l'avenir de ce département et de ses communes. Puissent nos élus, quels qu'ils soient, mettre dans la gestion de la chose publique une énergie identique à celle qu'ils ont dépensé durant la campagne. Exaucé, ce seul et banal vœu suffirait à (re)mettre moult organismes sur de bons rails.
Les bons rails, la bonne voie : voilà bien ce que cherche notre agriculture, acteur majeur de l'économie de ce département. A deux reprises cette semaine, lors de l'assemblée générale du Centre départemental des jeunes agriculteurs, puis lors de celle de l'Association des éleveurs 52-10, des responsables ont tenu publiquement des propos que l'on aurait jamais imaginés entendre voilà encore peu de temps. Des propos censés, raisonnés comme l'agriculture qu'ils savent qu'il faut mettre en place. Certains – et pas des écolos irresponsables – remettent clairement en cause le système de production et de distribution qui les a nourris jusqu'à aujourd'hui. On croyait la profession figée sur des a priori de grand père (ça eut payé !) et voilà quelle nous donne discrètement des leçons de modernisme. Singulier paradoxe qui nous prouve que les agriculteurs savent aussi faire autre chose que repeindre la préfecture au purin ou décaper ses grilles. Ecoutons-les. Ecoutons leur détresse, certes, mais aussi les solutions qu'ils évoquent.

Bonnes vacances camarade

Dans le dernier numéro de son bulletin syndical départemental, le SNU ipp reprend vigoureusement la défense de l'enseignement en Haute-Marne. On applaudit le principe. Le syndicat s'élève avec véhémence contre le "détournement de cinq moyens BDFC". BDFC ? on ne sait pas trop de quoi il en retourne, mais bon, on imagine la justesse de la cause et la pertinence de l'ire syndicale. Las, la petite phrase de chute, en gros, en gras, gâche tout : «Dès la rentrée des congés de printemps, soyons prêts à agir !».
Soit la menace est grave, la qualité de l'enseignement réellement menacée et les enseignants syndiqués – voire tous les autres – auraient dû se mobiliser comme un seul homme dès l'annonce des mesures honnies. Soit il est peut-être d'autres causes, d'autres injustices, d'autres petitesses qui sourdent et grondent et minent plus sérieusement notre système scolaire. Mais dire : «mobilisons-nous après les vacances», c'est reconnaître implicitement que la vilenie ennemie n'est pas si perfide que cela, du moins pas assez pour mobiliser les troupes, voire organiser une manifestation… durant les congés. Signe des temps : les vacances priment la lutte des classes. A chacun ses priorités.
Billevesées que ce débat-là. Cette semaine, une maison de notre département édite un ouvrage paru durant l'immédiate après-guerre : De la Marne au Danube. Un journaliste haut-marnais de l'époque, Fernand Wiszner y évoque son vécu des camps de concentration. «Si l'écho de leur voix faiblit, nous périrons», disait Paul Eluard. Citons aussi le dernier Semprun, chez Gallimard. Bonne lecture à ceux… qui sont en vacances.

Laboratage

Une semaine où nos élus ne se prononcent pas sur le sujet qui engage le plus l'avenir à long terme de ce département est une semaine normale. Ce ne fut pas partout, toujours le cas. Prenez par exemple la Corrèze. Il fut un temps où une mission "granit" envisagait d'y installer un centre de stock…, pardon, un laboratoire comme celui que vous savez. Le député de là-bas s'est montré fermement opposé au projet. Il fallait voir comment il a réagi à la mission "granit" ! Ni une ni deux, le député de là-bas a trouvé le temps et l'énergie de s'opposer comme il convenait – selon lui – au laboratage1 qui menaçait la quiétude de sa verte contrée en quête de touristes.
Le député très dynamique de là bas, prompt à s'engager pour une cause qu'on imagine pertinente, en tous cas là-bas, s'appelle François Hollande.
Le même François Hollande a été contacté par le très officiel comité local d'information et de suivi (CLIS) de Bure que préside Bernard Fitoussi, préfet de la Meuse. Il s'agissait d'une invitation fort courtoise faite au député de la Corrèze, pour venir expliciter ici son point de vue sur la question. Or, c'est le premier secrétaire du PS qui a répondu : «Je ne pourrai personnellement vous recevoir» (alors qu'on lui demandait de venir !). Au-revoir. Merci.
Le combat, juste en Corrèze, le serait-il moins en Haute-Marne ? Car on n'ose pas penser que la fin de non recevoir du premier secrétaire du PS a pour seul motif l'envie de ne surtout pas critiquer le gouvernement de Lionel Jospin. Hein, on n'ose pas le penser…
Bref, une semaine normale.

Moins et mieux

La mort ne respecte rien. Pas même le printemps. Daniel Valente manque déjà au monde des justes et à celui des arts martiaux. Les deux se rejoignent.
Faut-il pour autant bannir l’optimisme ? Certes, sous la pluie, nos vertes et humides contrées perdent de leur superbe. Sans parler des jeunes qui ne naissent plus, des vieux qui ne meurent plus (ici, la pyramide des âges sourit plus à l’expérience qu’à l’enthousiasme), du bitume qui tue et de certaines entreprises tentées par la danonisation.
Et pourtant !
Il est des signes potentiellement revigorants pour qui veut bien se donner la peine de les noter. Nos lycées s’avèrent globalement efficaces, certains excellents. Répétons-le, c’est la formation qui sauvera ce département. Reste à ouvrir des filières post-bac, et surtout à donner à nos jeunes les plus brillants les moyens de revenir (des fonctions motivantes) car l’envie est bien là. Nouvelles technologies ou sidérurgie de papa ? A votre avis ?
Cette terre est une vraie terre. Un terroir si vous préférez. Ailleurs, ce n’est parfois que du sol. Profitons de la terre. Pour un bétail sain d’esprit (interdit aux vaches folles) et de mamelles.
On ne produira jamais les mêmes céréales que la Beauce. Tant mieux ! faisons mieux et exportons : du bio ! Le marché en redemande. L’intelligence et l’avenir aussi.

Becquée

Ah, la belle, riche, presque bedonnante semaine ! Cela sent enfin le printemps : les idées bourgeonnent et font des petits ; on devine la rodomontade par ci, le calcul politique par là. Ça bouge dans le nid ; la salle du Conseil général n'est pas ovoïde pour rien.
Une becquée pour la forêt, ou plutôt la forêt communale avec les assises nationales de Nogent. Car les communes, cela se prend dans le sens du poil pour qui vise la Chambre haute. Pur hasard : le sénateur Delong et Bruno Sido ont rivalisé de compliments réciproques lors de la présentation à la presse de la grand messe de Nogent. Cette becquée là mérite mieux qu'une grimace : pour une fois qu'il se passe quelque chose en Haute-Marne !
Une becquée pour les éleveurs. L'initiative en revient encore à Bruno Sido. Las pour lui, l'ancien président de la FDSEA s'est fait prendre de vitesse par ces remuants indépendants qui vont finir par nous l'énerver : les effrontés ont eu l'audace de publier leurs propositions juste avant LE spécialiste !
Pas de becquée, en revanche (pour l'instant) pour les jeunes des quartiers ; l'ADPJ qui s'occupe d'eux demande à ce même Conseil général les moyens de survivre. Même pas autant que ce qui se fait partout ailleurs. Juste de quoi survivre, et continuer. Suspens…
Pour la fine bouche, évoquons cette délicieuse promesse de la FDSEA faite à Bruno Sido : ne pas contrarier Monsieur le ministre de l'agriculture lors de sa venue sur nos terres. Un pur régal ! Comme quoi il est plus facile de torturer la grille de la préfecture que de rester crédible.