Fernand et Jorge
Soyons francs : De la Marne au Danube,
de Fernand Wiszner, ne restera pas comme un chef d'uvre de
la littérature contemporaine. Sur le même sujet, partout
ailleurs dans le monde éclairé des amateurs de beaux
ou grands textes, on se penchera plutôt sur Le mort qu'il
faut de Jorge Semprun.
Et pourtant. La concordance des dates de parution (ce sinistre mois d'avril
pour les deux livres) ne saurait rester leur seul point commun. Il en est
bien d'autres qui rapprochent le journaliste haut-marnais, légitime
fierté d'une profession, et l'illustre écrivain franco-espagnol
membre de l'académie Goncourt. En rééditant le témoignage
sur l'arrestation (à Chaumont), l'incarcération (au Val Barizien),
la déportation et la survie en camps de concentration d'un Haut-Marnais
bien de chez nous, le Pythagore, éditeur haut-marnais tout aussi
bien de chez nous, met le doigt là où ça fait encore
mal. Où ça devrait faire encore mal.
Ce qui passe pour la pire abomination de l'histoire ne saurait devenir
un sujet de thèse, de débat sur Arte entre savants universitaires,
la sortie annuelle de porte-drapeaux arthritiques. Ce drame là a
touché cette terre-là. Des "gens biens" d'ici ont
donné des noms d'ici ; la barbarie les a avalé. Même
des enfants. Fernand Wiszner et Jorge Semprun, eux, relèvent du
miracle.
Il faudrait lire dans les écoles d'ici des extraits du texte du
journaliste haut-marnais. Pas sur ce qui décrit de Compiègne
ou d'Allemagne ! Trop facile, trop horrible. Mais plutôt sur les
mots qu'il trouve pour évoquer le réconfort qu'il a trouvé dans
l'amitié, la solidarité, alors qu'il attendait le pire dans
sa geôle chaumontaise. «J'en pleurai» confie Fernand
Wiszner. La barbarie a commencé ici, chez nous. Ne l'oublions pas.
L'héroïsme aussi. Ne l'oublions pas moins. Et pas seulement
demain.
De la Marne au Danube. Fernand Wiszner. Le Pythagore. 150 p. 95
francs. 14,48 euros.
Le mort qu'il faut. Jorge Semprun. Gallimard. 98 francs. 14, 94
euros.
Les
perdantes et les gagnants
Comment désespérer
de ce département : en observant les pratiques de ses (petits)
politiques. Comment espérer en ce département : en
relevant les signes qu'envoie une certaine société civile.
Pour les premiers nommés, une fois n'est pas coutume, deux femmes
vont faire les frais de ce prurit hebdomadaire. A Chaumont, Dominique Serra
démissionne. Elle explique le plus sérieusement du monde
qu'il lui serait difficile de travailler avec ceux que les urnes ont désigné.
On a envie de lui dire : "il ne fallait pas vous présenter".
On a envie d'ajouter : "vous faites bien peu de cas des voix (presque
une sur deux) qui se sont portées sur votre nom. Et d'ajouter : "Madame,
un électeur, ça se respecte. La démocratie, ça
se respecte. Une ville, ça se respecte".
D'un coup de souris colérique, on pourrait faire du "copier-coller" à Langres.
Marie-Odile Jacques y crée une association. Elle précise
: «sans esprit de revanche». Nul n'en doute
Cela dit,
les urnes ont là aussi délivré leur verdict. Après
le camouflet, l'opposition camouflée ne cache plus du tout les luttes
fratricides et ambitions personnelles qui rongent la gauche de derrière
les remparts. Le Général expliquait jadis que la France avait à cette époque
la droite la plus bête du monde. A Langres, aujourd'hui, la gauche
fait pas mal non plus !
L'espoir, il faut aller le chercher cette semaine dans les rangs de la
Confédération paysanne ou encore chez ceux qui vont on
les en prie donner vie, sens, raison d'exister à la plate-forme
technologique. Dans les deux cas, les représentants élus
de la Ville, du Département et de la Région ont fait le déplacement.
Dans les deux cas, des professionnels avancent des solutions raisonnables,
constructives, pour dégager un horizon bien sombre. Notre avenir
commun gagnerait à ce que l'on accorde à la réflexion
de ceux-ci plus d'attention qu'au dépit de celles-là.
Le nouveau conseil
général de Haute-Marne s'est réuni cette semaine.
Il a désigné son président ; celui-ci a tenté l'option "ouverture
consensuelle" dans son discours inaugural. Sur le papier,
dans les mots, bref, en théorie, on part sur de bonnes bases.
Le problème est qu'on est toujours parti sur de bonnes bases, avec
des conseillers généraux foncièrement honnêtes.
Or, ces bonnes bases théoriques valent à la Haute-Marne d'être
un département qui perd plus mille habitants par an.
Les précédentes déclarations d'intentions de tous,
conseillers génaux, maires, députés de droite ou de
gauche ont toujours été bienveillantes, nous caressant dans
le sens du poil. On se retrouve aujourd'hui avec un taux de mortalité (10,1)
supérieur aux taux régional (9,3) et national (9). On écope
d'une mortalité infantile (5,7) supérieure aux moyennes régionale
(4,2) et nationale (4,78). Plus de 11 % de nos jeunes sortent du système
scolaire sans formation (8% au niveau national !). A part cela, tout va
très bien, madame la marquise. Certains, voire beaucoup envisagent
rien moins que continuer à faire de la politique comme on la pratique
depuis quelques décennies avec les résultats objectifs que
l'on sait.
Il est pourtant des raisons d'espérer. La "société civile" frémit.
Signe des temps, on entend les mots "jeunes, formation" prononcés dans
de plus en plus de discours.
Bruno Sido dispose d'une telle marge de manuvre qu'il peut en toute
sérénité violenter sa majorité indolente. Elu
comme il l'a été, François Cornut-Gentille peut imposer
une nouvelle donne sans risque d'indisposer
grand'monde. La gauche du sud Haute-Marne n'a que Jean-Claude Daniel pour
la conduire. Sans concurrence, il peut, il doit insuffler enfin autre chose
qu'une raisonnable et prudente réserve dans la gestion de la "chose
publique", expression policée qui veut dire "nous".
Messieurs, les Haut-Marnais vous ont élu. Donnez-leur raison en
mettant, vous, l'imagination au pouvoir.
Tout à l'heure,
vous irez voter. Sans doute ; peut-être
Chacun des
suffrages choisi dans le secret de l'isoloir comptera pour une
modeste part dans l'avenir de ce département et de ses communes.
Puissent nos élus, quels qu'ils soient, mettre dans la gestion
de la chose publique une énergie identique à celle
qu'ils ont dépensé durant la campagne. Exaucé,
ce seul et banal vu suffirait à (re)mettre moult organismes
sur de bons rails.
Les bons rails, la bonne voie : voilà bien ce que cherche notre
agriculture, acteur majeur de l'économie de ce département.
A deux reprises cette semaine, lors de l'assemblée générale
du Centre départemental des jeunes agriculteurs, puis lors de celle
de l'Association des éleveurs 52-10, des responsables ont tenu publiquement
des propos que l'on aurait jamais imaginés entendre voilà encore
peu de temps. Des propos censés, raisonnés comme l'agriculture
qu'ils savent qu'il faut mettre en place. Certains et pas des écolos
irresponsables remettent clairement en cause le système de
production et de distribution qui les a nourris jusqu'à aujourd'hui.
On croyait la profession figée sur des a priori de grand père
(ça eut payé !) et voilà quelle nous donne discrètement
des leçons de modernisme. Singulier paradoxe qui nous prouve que
les agriculteurs savent aussi faire autre chose que repeindre la préfecture
au purin ou décaper ses grilles. Ecoutons-les. Ecoutons leur détresse,
certes, mais aussi les solutions qu'ils évoquent.
Dans le dernier numéro
de son bulletin syndical départemental, le SNU ipp reprend
vigoureusement la défense de l'enseignement en Haute-Marne.
On applaudit le principe. Le syndicat s'élève avec
véhémence contre le "détournement de
cinq moyens BDFC". BDFC ? on ne sait pas trop de quoi il en
retourne, mais bon, on imagine la justesse de la cause et la pertinence
de l'ire syndicale. Las, la petite phrase de chute, en gros, en
gras, gâche tout : «Dès la rentrée des
congés de printemps, soyons prêts à agir !».
Soit la menace est grave, la qualité de l'enseignement réellement
menacée et les enseignants syndiqués voire tous les
autres auraient dû se mobiliser comme un seul homme dès
l'annonce des mesures honnies. Soit il est peut-être d'autres causes,
d'autres injustices, d'autres petitesses qui sourdent et grondent et minent
plus sérieusement notre système scolaire. Mais dire : «mobilisons-nous
après les vacances», c'est reconnaître implicitement
que la vilenie ennemie n'est pas si perfide que cela, du moins pas assez
pour mobiliser les troupes, voire organiser une manifestation
durant
les congés. Signe des temps : les vacances priment la lutte des
classes. A chacun ses priorités.
Billevesées que ce débat-là. Cette semaine, une maison
de notre département édite un ouvrage paru durant l'immédiate
après-guerre : De la Marne au Danube. Un journaliste haut-marnais
de l'époque, Fernand Wiszner y évoque son vécu des
camps de concentration. «Si l'écho de leur voix faiblit, nous
périrons», disait Paul Eluard. Citons aussi le dernier Semprun,
chez Gallimard. Bonne lecture à ceux
qui sont en vacances.
Une semaine où nos élus
ne se prononcent pas sur le sujet qui engage le plus l'avenir à long
terme de ce département est une semaine normale. Ce ne fut
pas partout, toujours le cas. Prenez par exemple la Corrèze.
Il fut un temps où une mission "granit" envisagait
d'y installer un centre de stock
, pardon, un laboratoire
comme celui que vous savez. Le député de là-bas
s'est montré fermement opposé au projet. Il fallait
voir comment il a réagi à la mission "granit" !
Ni une ni deux, le député de là-bas a trouvé le
temps et l'énergie de s'opposer comme il convenait selon
lui au laboratage1 qui menaçait la quiétude
de sa verte contrée en quête de touristes.
Le député très dynamique de là bas, prompt à s'engager
pour une cause qu'on imagine pertinente, en tous cas là-bas, s'appelle
François Hollande.
Le même François Hollande a été contacté par
le très officiel comité local d'information et de suivi (CLIS)
de Bure que préside Bernard Fitoussi, préfet de la Meuse.
Il s'agissait d'une invitation fort courtoise faite au député de
la Corrèze, pour venir expliciter ici son point de vue sur la question.
Or, c'est le premier secrétaire du PS qui a répondu : «Je
ne pourrai personnellement vous recevoir» (alors qu'on lui demandait
de venir !). Au-revoir. Merci.
Le combat, juste en Corrèze, le serait-il moins en Haute-Marne ?
Car on n'ose pas penser que la fin de non recevoir du premier secrétaire
du PS a pour seul motif l'envie de ne surtout pas critiquer le gouvernement
de Lionel Jospin. Hein, on n'ose pas le penser
Bref, une semaine normale.
La mort ne respecte
rien. Pas même le printemps. Daniel Valente manque déjà au
monde des justes et à celui des arts martiaux. Les deux
se rejoignent.
Faut-il pour autant bannir loptimisme ? Certes, sous la pluie, nos
vertes et humides contrées perdent de leur superbe. Sans parler
des jeunes qui ne naissent plus, des vieux qui ne meurent plus (ici, la
pyramide des âges sourit plus à lexpérience quà lenthousiasme),
du bitume qui tue et de certaines entreprises tentées par la danonisation.
Et pourtant !
Il est des signes potentiellement revigorants pour qui veut bien se donner
la peine de les noter. Nos lycées savèrent globalement
efficaces, certains excellents. Répétons-le, cest la
formation qui sauvera ce département. Reste à ouvrir des
filières post-bac, et surtout à donner à nos jeunes
les plus brillants les moyens de revenir (des fonctions motivantes) car
lenvie est bien là. Nouvelles technologies ou sidérurgie
de papa ? A votre avis ?
Cette terre est une vraie terre. Un terroir si vous préférez.
Ailleurs, ce nest parfois que du sol. Profitons de la terre. Pour
un bétail sain desprit (interdit aux vaches folles) et de
mamelles.
On ne produira jamais les mêmes céréales que la Beauce.
Tant mieux ! faisons mieux et exportons : du bio ! Le marché en
redemande. Lintelligence et lavenir aussi.
Ah, la belle, riche,
presque bedonnante semaine ! Cela sent enfin le printemps : les idées
bourgeonnent et font des petits ; on devine la rodomontade par ci,
le calcul politique par là. Ça bouge dans le nid ;
la salle du Conseil général n'est pas ovoïde pour
rien.
Une becquée pour la forêt, ou plutôt la forêt communale
avec les assises nationales de Nogent. Car les communes, cela se prend dans
le sens du poil pour qui vise la Chambre haute. Pur hasard : le sénateur
Delong et Bruno Sido ont rivalisé de compliments réciproques
lors de la présentation à la presse de la grand messe de Nogent.
Cette becquée là mérite mieux qu'une grimace : pour
une fois qu'il se passe quelque chose en Haute-Marne !
Une becquée pour les éleveurs. L'initiative en revient encore à Bruno
Sido. Las pour lui, l'ancien président de la FDSEA s'est fait prendre
de vitesse par ces remuants indépendants qui vont finir par nous l'énerver
: les effrontés ont eu l'audace de publier leurs propositions juste
avant LE spécialiste !
Pas de becquée, en revanche (pour l'instant) pour les jeunes des quartiers
; l'ADPJ qui s'occupe d'eux demande à ce même Conseil général
les moyens de survivre. Même pas autant que ce qui se fait partout
ailleurs. Juste de quoi survivre, et continuer. Suspens
Pour la fine bouche, évoquons cette délicieuse promesse de
la FDSEA faite à Bruno Sido : ne pas contrarier Monsieur le ministre
de l'agriculture lors de sa venue sur nos terres. Un pur régal ! Comme
quoi il est plus facile de torturer la grille de la préfecture que
de rester crédible.
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