Année 2001 - Semaines 31 à 40

 

Platini

Deux cents foyers haut-marnais à peine sont abonnés au haut débit. Bas débuts ! On n'est pas très Net par ici.
L'association départementale de prévention jeunesse n'a toujours pas reçu sa lettre de mission pour légitimer son action présente, et on l'espère, future. Nul !
Les fonds de revitalisation économique à destination des créateurs d'entreprise dans les quartiers sensibles n'intéressent personne. Décevant. Affligeant. Révélateur…
Ne versons point dans l'auto-flagellation. On fabrique dans ce département les meilleures prothèses du monde. Quoique satanisée par les chasseurs de radon, l'eau de Bourbonne demeure étonnement efficace en rééducation. Entre ces deux points forts, rien, ou peu s'en faut. Et si on aidait médecins et chirurgiens haut-marnais à édifier une sorte de pôle santé-nature haut-de gamme, spécialisé dans le diagnostique orthopédique et la pose de prothèses, pont incontournable entre la forge et le bain-douche. Un établissement prestigieux où les stars du sport trahies par un tibia, le tout-Paris claudiquant des arts et lettres viendrait récupérer rectitude et chlorophylle.
Jadis, un certain Michel Platini, jeune joueur au talent prometteur, est venu se faire soigner en Haute-Marne. Ça lui a plutôt réussi. En tout cas plus à lui qu'à nous. Mais il n'est jamais trop tard.

CQFD

Les cendres de nos illusions fumaient encore sur Manhattan qu'un membre actif du CEDRA envoyait un e-mail à la presse haut-marnaise. Sous une plume indécente, on découvrait la première tentative de récupération de la tragédie américaine : l'auteur de la missive électronique y manifestait l'impérieux besoin de nous prévenir. «Comment mieux frapper l'opinion publique que par l'explosion d'une centrale […] Et quelle pourrait être la centrale "privilégiée" sinon celle à nos portes, dans l'Aube, à Nogent-sur-Seine ?» d'où l'évidente conclusion à laquelle n'avaient pas songé les comparses mortifères de Ben Laden : il faut décentraliser «la production au moyen des énergies renouvelables». CQFD1 !
Ici, là, peu importe le fond. On avait pas encore dégagé les survivants, l'enquête débutait à peine, le sang et les larmes ne tarissaient point qu'en Haute-Marne, un leader d'opinion se fourvoyait déjà dans la récupération éhontée.
A des années lumière du drame que vient de vivre l'Occident, cet été meurtrier nous aura aussi appris que le vert est décidément la couleur de ce qui n'est pas mûr. CQFD.

1 CQFD : Ce Qu'il Fallait Dire.


Tactique

Dans notre jargon, ce fut un "2 cols pied de page". Autrement dit : pas grand chose. Et pourtant, la plate-forme logistique de Toul s'avère autrement plus dérangeante pour la Haute-Marne que celle de Houellebecq. Beaucoup de nos politiques s'accordent sur le fait que la logistique est une réelle opportunité pour nous-autres. A Toul, ils s'accordent pour mettre de réelles signatures sur de concrets projets.
Enfin, pas tous, pas toujours. La CCI de Reims a tout de même proposé les candidatures de deux nouveaux sites pour concurrencer Vatry. Dans le genre : «on croit tellement en notre dossier qu'on vous en propose déjà deux autres». C'est de la tactique patronale. Bien sûr…
Notez que la tactique syndicale de la semaine n'est pas mal non plus. Un Monsieur de la Poste met en garde l'usager haut-marnais contre la terrifiante menace «du libéralisme sauvage» et «l'ouverture de l'Etat au capital privé». Il y a trente ans, cela passait comme une lettre à la Poste. Mais bon, en 2001…
Terminons sur une note heureuse. Jean-Luc Bouzon a écrit à ses électeurs pour leur expliquer à quoi il sert en tant que conseiller général, ce qu'il fait, les dossiers sur lesquels il travaille. Il se murmure au sein de l'assemblée départementale – car la grande maison ne bruit pas que de tactique sénatoriale – que certains de ses collègues dépenseraient peu de papier et encore moins d'encre s'il leur venait à l'idée d'expliquer ce qu'ils font. Les mauvaises langues !

Par ici la sortie

Y’a plus de saison, ma bonne Dame. L’actualité ne respecte plus rien, même ici, en France profonde. Sans attendre la rentrée, le monde enseignant s’est trituré les méninges, deux jours durant, à Langres, sur le thème de la violence à l’école. Passionnant. Des universités d’été de ce calibre, on en redemande. Iconoclastes et savants à souhait, les travaux ont parfois atteint un haut niveau qui prouve qu’ici aussi, quand on veut, on peut.
Le sieur Grégoire aussi voulait, il a pu. Sortir de prison. La gendarmerie, efficace, a sorti le grand jeu. La justice (l’administration pénitentière) est sortie de ses gonds. De l’endroit même où nul n’a perçu le doux feulement nocturne de la lame au carbure de tungstène caressant l’acier des barreaux, on devine aujourd’hui quelques toussotements. Car on sait toujours pas officiellement comment le détenu a pu se procurer cinq lames de scies à métaux et une corde. Même à 122 euros la lame, ça reste difficile à digérer. On ne dispose que d’une version : la sienne. L’administration est muette. Qui ne dit mot consent ? A moins que le détenu bavard n’ait menti, et qu’il ait rongé les barreaux avec ses dents, sans compter le puissant somnifère qu’une main perfide a versé dans la soupe des gardiens. Y’a plus de raison, ma bonne Dame.

Vlan, et re-vlan !

C'était à l'aube pâlichonne d'un siècle hésitant. Au creux ombragé de ses vallons boisés, la Haute-Marne nourrissait encore l'illusion rassurante du "ça n'arrive qu'aux autres". L'été de cette année-là vint tout bousculer, comme le font les vraies révolutions : en profondeur, sans que l'on en prenne immédiatement toute la mesure.
D'abord l'ESB. L'épizootie continentale sévissait aussi ici. Aucune raison objective ne pouvait exonérer ce département du mal ; mais avant, avouons-le, ça n'arrivait qu'aux autres, ailleurs. Et Vlan !
Puis Bure. Oh, trois fois rien, Bure. Un trou. Qui plus est même pas ici. Mais si près… Un trou qui démange, si loin. De plusieurs pays d'Europe, des manifestants sont venus nous signifier ce que représentait Bure pour eux. Un mini, un infime Gêne, mais quelque part, la même mondialisation du refus, la même quête d'autre chose, de plus propre, de plus "humain". On reparlera de Bure en Europe. Vous verrez.
Puis la légionellose. Pas à San-Francisco, cité mondiale ; pas à Lyon, mégalopole européenne. A Chaumont. Chaumont-sur-Loi… Non, non. Chaumont-sur-Ici. Re-Vlan !
Les faits sont têtus. Le village planétaire est une réalité. Désormais installée dans son siècle, la Haute-Marne doit digérer la mondialisation. On ne saurait l'éviter. Alors bénéficions de ses aspects positifs, car il y en a.
On nous a appris que la Haute-Marne était un département français. Depuis quelques jours, c'est aussi un petit bout du monde.

Ici, ailleurs

Les gens heureux n'ont pas d'histoire. La formule rassure les somnolents ; elle a d'autres vertus. Serait-elle avérée pour les départements ?
Il en est d'autres, en France, où, pour échanger des arguments, on crispe frénétiquement son doigt sur une gâchette. La question du pain, ici, se cristallise sur la quête d'une boulangerie ouverte le dimanche matin au mois d'août. Ailleurs, encore, le pain est de plastic. Ici, "plasturgie" n'est pas synonyme de filière mafieuse. Ailleurs, on flingue les oiseaux bagués au lâche ball-trap des avortons microcéphales. Ici, les chasseurs communiquent et construisent. Ailleurs encore, la pêche au gros met les tueurs au frais. Ici, c'est un brochet de 18 livres qui gagne sa place au congélateur.
Ailleurs, la fureur et le tumulte commencent à lasser. Les regards européens finiront bien par se tourner avec envie vers le centre géographique de ce territoire naissant : ici. Nos verts vallons se trouvent du bon côté de cette nouvelle frontière. Un jour, on saura gré à l'Histoire de nous avoir sevré d'histoires.

Rimbaud

Il n'est que de relire le Général sur le chapitre du Sénat, évoquer ses sentences définitives sur la Haute Chambre… et compter aujourd'hui ces gaullistes de Haute-Marne – terre élue par ledit général – prompts à se présenter aux sénatoriales pour envisager la vanité de bien des choses. De la politique par exemple. Laissons donc pour l'heure ces funambules de la promesse s'accommoder neuf ans durant des avantages d'une mémoire sélective. Et puis, qui, en cet août chagrin, relit le général ? Peut-être parce que la prose gaullienne est à la littérature ce que la marche militaire est à la musique…
Quitte à voler des heures à l'été en réveillant une plume d'ici, relisons Diderot dont la vénérable Encyclopédie va nous valoir bientôt quelque très intellectuelle renommée. Trop intellectuelle ? Certes on n'aborde pas le savant langrois comme un roman de gare. Surtout dans des gares placées sur les rails du déclassement…
Tant qu'à lire, donc, re-dévorons plutôt l'œuvre en chef d'un Champardennais authentiquement doué, trop tôt béni des dieux, enfant gâté, sitôt maudit, qui prit lui aussi le train d'ici ; car entre Charleville et Marseille, du génie prolixe au silence de l'enfer, sa voie l'a logiquement fait emprunter les rails de Haute-Marne. Même furtivement. Si une terre ingrate comme celle des Ardennes a su donner le jour à des Rimbaud, à des Dhôtel, pourquoi ne pas envisager que celle d'ici enfante à son tour, en ce siècle encore naissant quelque adroit ou imaginatif créateur des arts ou lettres ?

Quel trou !

L'été haut-marnais glisse en pente douce vers la rentrée. Un été somnifère. Chaque semaine distille sa dose de nouvelles qui passent comme autant de lettres à la poste : quatre morts sur l'autoroute. Une famille rayée de la carte ; oui, mais c'est la carte des Pays-Bas.
Bure fait son trou. Les Schadocks pompaient. L'Andra creuse. Les élus se taisent. Les élus, justement. Les nôtres. Parlons-en.
Rien qu'à droite, on en compte déjà cinq fois de trop sur la ligne de départ des sénatoriales. Et ce n'est pas fini ! Rappelons qu'avant d'être un bâton de maréchal, un mandat de sénateur est un mandat national. Une lecture attentive de la Constitution confirme qu'un sénateur – en tant que tel - ne peut rien faire pour ceux qui l'ont élu. Un sénateur, quand cela ne dort pas, ça légifère. Mais localement, rien.
Pourquoi donc se présentent-ils tous puisque ce ne saurait être pour défendre les intérêts des Haut-Marnais ? Hein ! Pourquoi ?
Sans doute d'abord parce que leurs mandats locaux ne les occupent pas assez ou qu'ils ont fait montre dans cet exercice de suffisamment d'efficacité. Il faudra un jour qu'on définisse avec eux "l'efficacité". Mais bon…
Et puis, cherchez la femme ; révélateur...
Puisqu'une fois élus, les meilleurs d'entre eux s'empareront à bras le corps de dossiers nationaux, donnons leur un avant-goût de la félicité studieuse qui les attend et interrogeons-les sur la place de la Haute-Marne dans l'aménagement du territoire, la différence sémantique entre un laboratoire et une poubelle dans un désert humain, le train de sénateur de la modernisation de la ligne Paris-Bâle etc…
Quant à tous ceux qui ne vont pas être élus, risquons une pensée émue pour leur déception (un tantinet naïve…) et tout ce temps, toute cette disponibilité qu'ils pourront à nouveau consacrer à leurs mandats actuels, c'est à dire à notre avenir !