Année 2002 - Semaines 31 à 40

 

Grande faucheuse

Un routier sérieusement touché vendredi dernier, deux motards gravement blessés dimanche, un mort mardi, deux personnes gravement blessées mercredi, voilà pour la semaine.
La grande faucheuse avait soif, en juillet, temps des moissons : quatre morts. Seulement ? Seulement. La vacharde en a raté douze, qui en sont "que" grièvement blessés. Combien de litres de sang, sur le bitume de Haute-Marne ? Le compteur s'affole.
La France détient le record d'Europe de l'asphalte hémoglobinée. Et en France, par département et tête de conducteur ? Ce sillon carmin, au fond de nos verts vallons, qui semble ne jamais se tarir… À quel rang place-t-il la Haute-Marne ?
Aux mois creux, un fonctionnaire zélé actualisait les compteurs de vies volées : On pouvait lire : "depuis le début de l'année, 10 morts sur les routes de Haute-Marne". Puis 13. Puis 15. Puis… Stop !
Ce n'est pas que le fonctionnaire soit parti se la couler douce, en congés. C'est tout simplement que depuis quelques semaines, cela évolue trop vite. Beaucoup trop vite. L'encre n'a même plus le temps de sécher. Sur le bitume, on met de la sciure, pour absorber. Mais dans les têtes ? On fait comment, avec les mémoires, pour effacer ?

Saousse-champ-peigne

Les professionnels du tourisme haut-marnais affichent deux certitudes : Les Français viennent de moins en moins. Les étrangers connectés viennent de plus en plus. Ils ont découvert notre département sur le Web. Soit. Voyons comment.
Postulat de base : un étranger qui se respecte, citoyen britannique ou nord européen, parle anglais, et surfe in english. Que soumet-il à son moteur de recherche ? Glissons-nous virtuellement dans sa peau pâlotte de buveur de bière :
1) du soleil, donc le sud (south, phonétiquement "saousse").
2) du vin, et tant qu'à venir en France, The vin (champagne, phonétiquement champ-peigne).
Notre english-speaking virtual tourist va donc saisir dans la langue de Shakespeare "Sud" et "Champagne". Cela tombe plutôt bien pour les Relais du sud-Champagne où l'on a compris depuis longtemps tout l'intérêt d'être présent sur le Web : sept hôtels, deux restaurants, le tout en english version... Depuis, de vrais petits malins ont inséré les deux mots magiques sur le site de leur gîte haut-marnais. Le croirez-vous ? ceux-là ont noté dès cette année une affluence inusitée de Scandinaves. Il fallait y penser !
La chasse à l'imagination est une chasse moderne qui envoie les Suédois au vert. La chasse aux sorcières est une chasse ancienne qui envoie les préfets au placard. La chasse au temps est une chasse stupide qui envoie les jeunes au cimetière : trois de plus cette semaine !

Iconoclastie

Quelques lignes iconoclastes au cœur d'août ne peuvent pas faire de mal.
Risquons un regard par-delà l'horizon, vers les blandices incertaines de l'après-demain haut-marnais.
On voit se s'esquisser un vrai pays nord-Haute-Marne, autour d'une Bragardie industrieuse, pointe méridionale d'un Triangle économiquement, structurellement et culturellement cohérent. Beaucoup s'y emploient déjà. Ils ont raison.
Le sud a pris de l'avance ; assez (hélas ?) pour relâcher trop tôt l'effort d'imagination et d'actes d'un Pays de Langres remarquable et remarqué. Ne le répétez pas, mais du rouge gouleyant de Bourgogne irrigue les organes de cette Champagne en déshérence qui fait du pied (de vigne) à la gironde cousine bourguignonne.
Un trou fait office de lien administratif entre ces deux cohérences : Chaumont. Un arrondissement écartelé entre l'Aube, poste avancé de l'ogre parisien, et la Lorraine. Si les territoires pertinents de demain sont bien la conjonction d'une surface habitée et d'un projet, le Pays chaumontais a-t-il une chance de devenir territoire ? Qu'en pense-t-on du côté de Saint-Blin ? de Bourmont ?
Si 100 000 âmes n'est qu'un tout petit minimum pour les territoires pertinents de demain, faut-il vraiment bâtir – dans la douleur qui plus est – ce Pays chaumontais qui se cherche, et pour cause ?
L'autoroute qui frôle Chaumont fonce vers le sud. Pour aller à Reims, il faut passer par Troyes.
Assez de temps perdu ! Chaumontais et Langrois sont condamnés à s'entendre, à coopérer, à envisager sans hypocrisie un territoire unique, fondé sur un passé commun (relisons Diderot : la coutellerie par exemple) et des projets ambitieux que ni les uns ni les autres, seuls, ne sauront mener à terme. Le symbole nécessaire de ce nouveau destin est tout simplement une quatre-voies, axe rapide vital entre les deux cités et leurs zones industrielles.
Vous étiez prévenus : ce serait iconoclaste !

Savoir-faire

Le Rectorat avait organisé l'été dernier une université d'été à Langres. L'expérience avait été couronnée de succès, tant par le nombre des participants que par la qualité des débats. Cette année ? Rien. Du moins, rien, de la part du pachyderme d'antan à poil long.
Le mammouth boude-t-il notre département ? Qu'à cela ne tienne : le sud-Haute-Marne aura tout de même son université : rurale, certes, mais européenne, tout de même.
Villegusien, qui s'y entend en matière d'accueil, reçoit donc l'étape haut-marnaise de l'Université rurale européenne. Le Pays de Langres se replonge dans la mobilisation de matière grise. A court terme, les Langrois n'y gagneront rien d'autre que la sympathie des participants venus d'ailleurs. Mais au-delà des aimables sentiments se profile tout simplement notre avenir : l'Europe et le Pays d'un côté (territoires du nouveau siècle), la matière grise de l'autre, c'est à dire une pensée qui échange sur la base de réseaux.
Nos hôtes vont s'y pencher sur les savoir-faire. Puissent-ils avoir l'audace de conjuguer aussi ces deux verbes substantivement accolés au futur. Ce territoire sait faire autre chose que planter des arbres et tresser des paniers.

Tôt ou tard

Chut ! ne le répétez pas ! Les bonnes nouvelles, on gagne à croire qu'on est les premiers à les apprendre, très tôt, les seuls à les savoir. On se sent tout puissant à les répandre, avec parcimonie, à des gens par nous choisis, sélectionnés, même.
Alors voilà (mais chut, hein ? C'est promis ?) : un système productif local entièrement dédié aux technologies de l'information et de la communication va voir le jour en Haute-Marne. Dans le jargon de ceux qui savent, on dit un "SPL TIC". Mais je ne vous ai rien dit.
Je ne vous dis rien de plus sur le Pôle Diderot. Alors, re-chut ! Mais l'ambitieux projet largement orienté TIC se trouve des alliés de poids et passe en douceur à la vitesse supérieur.
Ce très provisoire double-scoop rejoint l'expérience de Pisseloup relatée il y a quelques jours dans ces colonnes : l'internet haut-débit par satellite. Celui qui permettra à la plus rurale des communes de Haute-Marne, au trou d'entre les trous (Bure ne joue pas) de brancher ses entreprises existantes ou à venir sur un Web confortable et professionnel. Il fonctionne bien, et pour pas cher. Il n'est donc pas trop tard pour espérer.
Cette semaine de sale temps s'avère donc lumineuse. Un peu comme si la Haute-Marne d'en haut, dans le premier cas, celle d'en bas dans le second, se réveillaient avant l'heure et la rentrée pour nous dire : n'attendez pas les assises du développement pour lâcher vos idées, pour prendre des initiatives. Il n'est pas trop tôt. Pas trop tard non plus, même si le site officiel du courrier de l'internet citoyen, qui répertorie les communes dynamiques en ce domaine, ne cite chez nous que la Bragardie. Tôt ou tard, ça va changer. Pour l'heure, ça bouge. Et bien. Enfin ! Et ce n'est pas fini…

La loi des séries

Dans le cadre de notre série "profite de la rentrée pour te faire de nombreux amis" évoquons le Plan collège du Conseil général. Il fait plaisir à tout le monde : aux conseillers généraux pour leur réélection, aux artisans pour les marchés, aux enseignants, pour le principe, et aux parents pour la proximité des héritiers. Mais bon sang quelle erreur d'investir autant d'argent pour d'aussi nombreux petits collèges, au détriment de la qualité de l'enseignement. Rassemblons les potaches dans des structures plus importantes, où ils disposeront de plus d'options et de meilleur matériel, et mettons les bâtiments libérés à la disposition des acteurs dynamiques de l'économie et de l'associatif.
Dans le cadre de notre série "les pieds dans le plat", Charles Guené a expliqué jeudi à un parterre de BTS que «68 % des échanges du Pays de Langres se font avec Dijon. […] On fait partie de la nébuleuse Bourguignonne. Il faut que l'on raisonne avec cela».
Dans le cadre de notre série "les vrais scoops du faux billet", certains, et non des moindres du Pays de Langres, étudient rien moins que l'achat ou la location d'un faisceau satellitaire. Le haut-débit indépendant, pas cher et partout en milieu rural est en vue.
Dans le cadre de notre série "la ligne pourpre", le bitume haut-marnais est toujours aussi assoiffé de sang. Et aucune happy end en vue au bout de la ligne droite…

Les derniers seront les premiers

Bruno Sido n'est pas arrivé à pied en Chine. Encore l'eût-il envisagé ! le plus court chemin – dans l'absolu – lui imposait de traverser la planète à la Jules Verne : en creusant, tout droit. Le lecteur futé, abonné à cette chronique, devine la suite : afin de s'épargner 228 mètres d'efforts risqués, il aurait même pu partir du fond du trou de Bure.
Il est illusoire de chercher ici un contrepet de mauvais aloi. Il n'est présentement question que d'un raccourci théorique pour parvenir à pied dans l'Empire du milieu. Ça ne vole pas haut. Bruno Sido, si. Il y va en avion, lui, en Chine, sous sa casquette de sénateur.
Sous celle de président du Conseil général, il a fait fort, très fort, cette semaine. Goûtez plutôt : «On a voté la rénovation de tous les collèges. Ça ne veut pas dire qu'on les rénovera tous». C'est passé comme une lettre à la poste. Quand il reste un bureau de poste…
Contournons plutôt son élégante figure de style, quelque part entre doux euphémisme et litote absconse : les collèges dans lesquels les travaux doivent débuter en derniers seront les premiers… à fermer. CQFD !

Avec des "si"

Si on vous dit : «un trou au milieu de nulle part», vous pensez à quoi ? Attention, il y a un piège. Eh non ! il ne s'agit pas de Bure, mais de la Haute-Marne perçue pas les Chaumontais ; ils ont exprimé ce désarroi lors du premier atelier des assises.
Remarquez, ils n'ont pas tout à fait tort. La direction régionale des affaires culturelles a envoyé cette semaine aux médias champardennais un beau dossier de presse sur le programme des journées du patrimoine. Du moins les trois-quarts du programme : exit la Haute-Marne. Révélateur.
Si on vous dit «35 milliards d'euros», vous songez à la part publique (un peu la nôtre) du déficit de France Telecom. Si on construisait, avec ça, des éoliennes qui ne consomment que du vent, on pourrait produire, gratuitement, assez d'électricité pour alimenter onze millions de foyers.
Ne rêvons pas : on risque fort de payer à la fois pour le déficit du grand communicateur ET pour notre facture d'électricité.
Reprenons nos 35 milliards. Combien pourrions-nous créer d'emplois en Haute-Marne ? Combien pourrions-nous équiper d'entreprises, de lycées, d'associations avec internet à haut-débit (allez, pas rancunier pour deux euros, on prendrait Wanadoo…) ? Combien de livres sur la Haute-Marne pourrait-on commander à des éditeurs de ce département ?

Ça en fait, des sommes !

On en connaît qui aiment les petits sommes. Ces bienheureux siesteux-là ne dérangent personne, sauf lorsqu'ils sont élus. Ils ont adopté puis adapté la formule de Marx qui disait : «l'humanité ne se pose que les problèmes qu'elle peut résoudre». Remplacez "l'humanité" par "la Haute-Marne", ou "mon canton", voire "ma commune". Et bonne ronflette…
Il en est d'autres qui commencent à s'ébrouer. Des quidams comme vous et moi, élus ou pas, qui nous rappellent, un tantinet agacés, qu'ils n'ont pas attendus les assises pour bouger (plutôt au sud) ou pour repenser intelligemment la géographie (plutôt au nord). Ceux-là-mêmes – parfois élus – qui confient sous le sceaux du secret que si l'on veut enterrer un projet, il n'est qu'à l'instruire en Haute-Marne comme lorsqu'au siècle passé, De Gaulle disait : «créez une commission !»
Pour rasséréner un centre déboussolé avec la Haute-Marne d'en haut (d'un nord triangulaire) et celle d'en bas (d'un sud autorouto-bourguignon), évoquons cette petite commune du milieu, qui, depuis dix ans, a investit largement plus du million d'euros et qui est passée de 200 à 300 habitants. Une vraie commune rurale, pas une banlieue verdâtre. Avec des aides, des subventions, beaucoup de travail, des projets menés à terme ; avec des jeunes qui restent, qui construisent. Un million d'euros, ça commence à en faire, des sommes !

L'amour vache

Sans vouloir vexer personne, l'imagination n'a pas encore pris le pouvoir aux assises du développement. Il est vrai que la première étape n'était pas conçue pour cela. Il s'agissait de prendre la température : un petit 36°5 du soir. Faites chauffez la bouillotte de Mamie Haute-Marne.
Il s'est tout de même trouvé tel ou tel des nôtres pour stimuler le débat. On n'ose dire "rehausser". Notre homme cite d'abord un observateur extérieur : «mon conseil ? installez des barbelés tout autour de votre département et profitez de votre trésor». Et lui-même d'ajouter : «Entre nous, nous le savions, mais c'est tellement plus convaincant dit par un "étranger"».
1) A chacun ses étrangers.
2) Si nos savants ne savent pas quoi faire du trou de Bure, on pourra y enfouir profondément de si navrantes suggestions.
3) A priori, au XXI siècle frémissant, c'est encore le bétail qu'on entoure de barbelé.
Réservons le fil de fer aux vaches et chevaux, bêtes à concours qui portent haut, elles, les couleurs de la Haute-Marne. Bénissons les efforts de ceux qui, voilà trente ans, surent forcer le destin pour ouvrir la Haute-Marne aux autoroutes. Louons ceux qui aujourd'hui se battent pour irriguer ce département par le haut-débit et les nouvelles technologies. Encourageons ceux qui ne désespèrent pas encore de faire atterrir quotidiennement une aviation d'affaire à Semoutiers. Sachons gré aux bons élus, aux patrons, aux enseignants de jouer à fond la carte de l'ouverture dans tous les sens, même aux étrangers - poussons l'audace - qui n'ont pas de barbelé à la place de la boîte crânienne.