Année 2003 - Semaines 31 à 40

On progresse, mon cochon

La population est trop nombreuse en Haute-Marne. Passée la phase d'étonnement qui vous fait d'abord écarquiller des yeux incrédules, froncer des sourcils dubitatifs, relire la première phase en quête d'un hypothétique indice de dérèglement intellectuel de l'auteur, force est de passer la suite. Tant pis pour vous : on aura le droit d'en abattre (des haut-marnais) près de 14 000 jusqu'à la fin de l'hiver prochain. Non, le plumitif laborieux astreint à chronique hebdomadaire ne souffre pas d'une insolation estivale, d'une inhalation de plomb au marché de Chaumont, d'une irradiation au radon pour s'être douché à Bourbonne. Nenni ! Le plumitif a raison : la population de sangliers dépasse les bornes, en Haute-Marne. Et puis, ne vous en déplaise, tous les Haut-Marnais ne sont pas des cochons. Même si certains noms circulent…
Donc, les cochons progressent en nombre. Passons. Le débat chasseurs-agriculteurs bat son plein. Mais qu'en pensent les agriculteurs qui chassent ? Entendons nous bien : à balles réelles. Pas au plomb. Le plomb n'est plus utilisé pour abattre quelqu'un que sous le marché découvert de Chaumont. On y a tout de même appris en juillet que dans la peinture au plomb, il y avait du plomb. Bien. On progresse. En août, ce sera : "méfiez vous de la pluie, elle mouille". Pour la rentrée, vous aurez droit à "prudence avec la vie, c'est la plus mortelle des maladies". Le progrès fait rage ; même dans la bêtise. Mais à force d'avoir peur de tout…

 

La piste aux étoiles

La 13e Nuit des étoiles proposée ces jours-ci par le club Cassiopée aux Haut-Marnais entre Condes et Treix a permis aux curieux tout ébaubis d'en prendre plein les pupilles.
On a d'abord joué avec les distances. Pas la distance Chaumont-Langres qui diminue avec le siècle naissant. (L'observateur finaud remarquera en passant que Chaumont-Langres et Langres Chaumont, ce n'est pas tout à fait la même chose, mais refermons là cette perfide parenthèse…). Puis la distance Terre-Lune, avec des trous des deux côtés. Deux à Bure, beaucoup plus sur la Lune. D'autres encore, tout noirs, et qui avalent tout, bien plus loin.
Suit la distance Haute-Marne – Mars. Là, ça devient sérieux. Puis la galaxie, les nébuleuses (le premier qui fait allusion à Animal Explora…!) et enfin ce spectacle fabuleux de l'univers où jaillit comme un clin d'œil du Très Haut, de temps en temps, une étoile filante jubilatoire.
Cela nous remet les idées en place, ces milliards de milliards de milliards de tout. À l'aune des 73 000 années qu'il a fallu à Mars pour revenir aussi près de nous. À l'époque, il n'y avait ni le Triangle, ni le viaduc et pas même, paraît-il, le Pôle Diderot. Alors, tout de suite, les grandes théories : le Big Bang, la relativité, et Dieu dans tout ça… Pour vous donner une idée de l'élévation de l'âme qu'offraient ces précieux songes d'une nuit d'été, personne n'a osé évoquer la peinture du marché couvert de Chaumont. La nuit prochaine, essayez, pour voir. Éteignez tout. Sortez. Couchez-vous dans l'herbe sèche. Fermez les yeux puis rouvrez-les au bout d'une ou deux minutes. Regardez le firmament. C'est tout simplement beau. Un beau qui nous rend notre dimension : nous ne sommes que poussières. C'est vous dire l'importance du plumeau.

 

Le robinet qui fuit

La rentrée approche. Pour nous débarrasser à peu de frais des remords culpabilisants d'un farniente improductif, ouvrons enfin l'immaculé cahier de devoirs de vacances. Aujourd'hui, algèbre. Problème. Enoncé.
Une écluse de type Freycinet sur un canal non identifié du nord-est de la France mesure en moyenne 39,56 m de long sur 5,74 m de large. La hauteur de chute s'établit à 3,27 m. Ce canal nécessite une centaine d'écluses pour traverser un département pris au hasard.
Questions :
a) Combien de mètre-cube d'eau sont consommés à chaque passage d'une seule écluse par une pénichette ?
b) Combien de touristes, simultanément en goguette et en pénichette, bénéficient de ce moyen de déplacement par été de canicule ?
c) De combien de millimètres baisse le niveau d'eau du réservoir de la Mouche pour une traversée du département, par tranche de 20 touristes toujours en goguette et en shorts ?
Mieux vaut sans doute remettre la résolution de cet épineux problème aux jours de pluie. En attendant la rentrée littéraire, patientez-donc avec ce court roman qui passe aux yeux de beaucoup pour le livre de l'année : La Petite Chartreuse*. Un nectar plein d'émotion retenue. Beaucoup mieux retenue que l'eau du Pays des sources.
Y'a eu une fuite ?

* : Perre Péju : La Petite Chartreuse. Gallimard. Coll Blanche.

On a eu chaud

On a eu chaud. Faut dire : on a de la chance. Vivre ici, c'est tout de même autre chose que mourir ailleurs. Alors que les chiffres des décès liés à la canicule tutoient les 10 000 morts au niveau national, un îlot de béatitude climatisée a été repéré entre Saint-Dizier et Vaux-sous-Aubigny. Là, Rien. Tout va très bien Madame la Marquise.
La Ddass de Haute-Marne expliquait encore hier qu'il faut que le certificat de décès mentionne une température supérieure à 40°6 au moment du décès. Sinon, ça ne compte pas. C'est sûr, les familles n'avaient que cela à faire.
Interrogés par le JHM au plus chaud de la crise, nos pompes funèbres, qui ne sont pas que de joyeux drilles, expliquaient par 40° à l'ombre : «Sans doute une coïncidence.[…] Aucun décès dû à la canicule. Etc.». On se sent mieux, subitement. Comme si la page Avis de décès s'était détachée de celle des Informations générales. Un p'tit vent frais ventile nos bonnes consciences. Seul le frigo des jus de fruits est donc resté branché sur le thermomètre. En Haute-Marne, la Grande Faucheuse affichait sa morgue habituelle. R.A.S. : Rassurante Absence de Statistiques. À l'Ascension, seul le mercure montait. Hein ? Pardon ? La mauvaise foi, aussi ? Comme vous y allez !

Striptease

Alors que l'Occident dubitatif interroge un avenir incertain à Cancun, la carrière de Jack Peureux rebondit : il va siéger au sein du Conseil national du développement durable ! Si, si. Ils l'ont fait !
En Haute-Marne, ami visiteur de passage, là vie est ici, on le sait, mais rien que la vie. Tandis que la France se demandait avec gravité pourquoi donc 10 000 vieux sont morts en trop sous le soleil de Satan (mais pas ici, on est bien d'accords, hein !) le débat nistzchéen consistait à savoir pourquoi la stip-teaseuse tant attendue n'était pas venue à Brachay. Heureux maire qui ne médiatise sa commune que pour un effeuillage manqué. Désirée (c'est le petit nom de la fille en question) a appelé cela une panne. Vous n'avez jamais connu de panne, messieurs, avec une strip-teaseuse ? Soyez francs…
Voilà donc pour les choses sérieuses. Pour ce qui est des balivernes et de la gaudriole, prenez date : si dans dix ans les Pays de Langres et de Chaumont n'en font pas qu'un, on aura l'air encore plus sots qu'avec l'impudique donzelle. Cette fois, c'est l'avenir des deux-tiers sud du département qui pourra aller se rhabiller.

Je vous ai compris

Choses entendues jeudi dans une classe de CM2 en Haute-Marne, alors que l'on évoquait Colombey-les-deux-Églises : «Charles-de-Gaulle ? C'était le chef des Gaulois. Non, M'sieur ; c'était un Allemand qui a trahi son pays en 14-18».
A priori, on peut dire que les jeunes générations d'ici se soucient autant du Grand Charles que de l'influence de la mousson en Birmanie orientale sur le niveau d'eau dans les trous de Bure en Haute-Marne orientale.
Or, le Conseil général qui l'an prochain accueillera ces potaches dans ses collèges nourrit un gros projet, à Colombey, sur Charles-de-Gaulle. Si les touristes de demain voient en lui un Abraracourcix teuton, traître de surcroît, ils risquent fort de ne pas faire du futur site un but de week-end par temps de pluie et de grève de la télé.
Par ailleurs, les Gaullistes historiques se font rares ; les modernes eux, ont plus à la bouche Sarkozy et l'UMP que le Québec libre. Demandons-nous sans trop tarder si, ma foi, ce projet est vraiment tourné vers l'avenir. Qu'en pense le Général, s'il nous observe comme le Commandeur en sa statue ?
A propos d'observation d'outre-tombe, précipitez-vous sur La Nostalgie de l'Ange, de Alice Sebold chez NiL Éditions.

Page 39

La page 39 du JHM d'hier est à conserver soigneusement. Deux articles, l'un au-dessus de l'autre, résument emblématiquement l'état des lieux d'un monde en errance. Une page 39 qui envoie le message du pays des droits de l'Homme, volontiers donneur de leçons, au reste du monde : pour mourir tranquille, mieux vaut être vieux, pauvre et seul l'été, que jeune, tétraplégique, aveugle et muet dans l'hiver définitif de sa vallée de larmes. Le rapport est de 1 à 14 802. Mais tout va bien. Ne changez rien.
La journée des soins palliatifs, aujourd'hui au Palace, à Saint-Dizier, prend toute sa valeur.
Dans ces conditions de navrement, l'humour est un palliatif improbable. On notera la volonté clairement affichée du gouvernement de cesser de creuser le trou, mais la Sécurité sociale n'a rien à voir avec Bure. La sécurité tout court peut-être non plus.