Année 2004 - Semaines 31 à 52

15 sept
TVB

Les faits sont têtus et les chiffres bavards. On peut tout leur faire dire. Las, leur objectivité n'est que de façade. Prenez les statistiques sur la délinquance que les services de l'Etat publient chaque mois en Haute-Marne. Les commentaires sont à manier avec des pincettes.
Lorsque les statistiques baissent, on peut se réjouir : la délinquance diminue dans ce paisible département rural où même la canicule n'avait officiellement affecté personne l'an dernier.
Lorsque les statistiques augmentent, on s'en réjouit aussi : cela traduit officiellement une hausse de l'action des forces de l'ordre. Gendarmes et policiers sont alors plus efficaces, résolvent plus d'affaires, ce qui ne peut que rassurer le bon peuple. On nous dit alors que «l'activité d'initiative est plus importante». C'est bon pour nous.
C'est tout bon, tout le temps. TVB : Tout Va Bien. Mais un jour, à force, on entendra par là : Tiens, Voilà du Boudin...

22 sept
Gertrude et l’eau tiède

Connaissez-vous le syndrome de la grenouille ? Si vous précipitez le batracien dans une marmitte d'eau chaude, Gertrude - appelons-la Gertrude - jaillit aussitôt hors du récipient.
Mais laissez Gertrude faire trempette dans de l'eau fraîche, faites chauffer à feu doux... et la grenouillle se laissera cuire jusqu'au terme - définitif pour elle- de l'expérience.
Gertrude, c'est nous, vous, moi : les Haut-Marnais.
Si on nous annonçait, du jour au lendemain : «on ferme x collèges», imaginez l'ire collective.
Mais l'affaire est introduite en douceur, dans le temps. Voilà plusieurs années que l'on nous prépare à l'inéluctable. Quitte à nous enrober l'indicible dans un “plan collèges” qui sent bon la peinture fraîche.
On vous le dit, on vous le répète : en toute logique, il faudra fermer au minimum un collège.
Gertrude dirait : «tiens, l'eau est devenue tiédasse».

29 sept
Ca va Burer encore longtemps ?

Bruno Sido est homme fort occupé. C'est bon pour nous, ça. Par exemple, il était à l'inauguration d'un sentier de randonnée, ce qui réjouira les marcheurs et autres contempteurs de Jeanne-d'Arc.
Tellement occupé qu'il n'a pas trouvé le temps d'accompagner le Président de Région à Chalindrey. Jean-Paul Bachy y a tout de même évoqué avec les élus des questions au moins aussi importantes que l'itinéraire de la Pucelle. Mais non, il ne pouvait vraiment pas.
C'est comme l'Andra. Elle a pris plus d'un an de retard à Bure ; elle explique pendant des mois que le chantier ne saurait s'arrêter quelques heures pour envoyer des experts au fond voir ce qu'on y trouve (eau ? radon ?) ; finalement, elle va laisser le CLIS prendre l'ascensceur. La seule question qui vaille, c'est : avec ou sans Mourot ? Sans, on touche le fond. Avec, pourvu qu'ils y aillent aussi ! Pour la forme. Car dans le fond, on sait bien où ils vont les mettre, les déchets.

6 octobre
TICC

Force est de reconnaître que les maires de Saint-Blin et Prauthoy ont réalisé d'immenses progrès dans la compréhension des technologies de l'information, de la communication et de la connaissance. Il faut bien en convenir : c'est une chance pour la Haute-Marne que nos deux sénateurs se soient emparés comme ils l'ont fait du haut débit et d'autres joyeusetés qui font passer certains de leurs collègues de la Haute Chambre pour des minitels de première génération.
Par conviction ou par ambition, nos deux cyber-sénateurs ont entrepris de nous connecter avec notre époque. On leur en sait gré.
Voilà à quoi l'on vérifie qu'ils sont en passe de réussir leur révolution culturelle sur nous-autres, laborieux titilleurs de souris rompus à l'exercice du copier-coller : désormais, que ce soit à la Banque de France, devant l'association des maires, au Conseil général ou ailleurs, on a remisé les transparents. Il n'y a plus que l'Eglise et les profs - par manque de moyens, on est d'accord - pour brancher encore le rétroprojecteur de papa.

13 octobre
Nano

Le bonheur égoïste du journaliste de terrain, celui qui voit les faits, entend les phrases, interroge les acteurs, est d'être avant d'autres témoin de l'essentiel. L'E-SSEN-TIEL ! On est là à mille années lumières des discours pré-mâchés de l'élu ou du militant professionnel. Pour tout vous dire, l'essentiel dévoile même rarement sa substantifique moelle en conférence de presse.
Cette semaine, l'essentiel, celui qui va tous nous concerner, nous ou nos enfants – surtout les vôtres – c'est la passionnante conférence donnée à Chaumont par deux savants (au passage haut-marnais) sur l'infiniment petit et l'infiniment grand.
Le premier, spécialiste des nano-sciences, a annoncé, solides arguments à l'appui, que les technologies à l'étude dans les labos américains permettront un jour de traiter, de nettoyer proprement les déchets nucléaires en les attaquant à l'échelle de la molécule.
Rien que ça ! Bien sûr, il faudra du temps. Mais on y arrivera. Mine de rien, cela réconcilierait le Cedra avec l'Andra. Impensable ! On stockerait sous terre, à l'abri de la folie terroriste, les colis empoisonnés avant que la “gelée grise” ne soit en mesure de leur faire leur affaire. Bien sûr, c'est plus compliqué que ça. Mais en gros, c'est ça.
Le second a évoqué les amas globulaires (Mais non, pas Haute-Marne Développement), les trous noirs (trop facile, celle-là) etc. Figurez-vous que dans l'univers visible, on compte déjà 2 000 milliards de milliards d'étoiles. Dans le tas, il y en a forcément quelques millions qui ont des planètes comme la nôtre. Statistiquement, il y a forcément ailleurs, dans l'infiniment grand, un autre Office Régional de la Culture avec les mêmes petites tractations inavouables pour trouver un président transparent qui ne dérange personne. C'est de la nano-politique. Le pire, que c'est peut-être pareil ailleurs !

27 octobre
C'est environ à peu près vrai

Connaissez-vous les Pirahas ? Cette tribu amérindienne est un peu à l’Amérique ce qu’est la Haute-Marne à l’Eurasie : une réserve d’hominidés en voie de disparition. Eux sont encore moins nombreux que nous. Si, si.
On ne va pas chipoter sur les nombres exacts. Les Pirahas disposent d’un lexique numérique particulier de type «environ un», «à peu près deux» puis «beaucoup». Ça s’arrête là. Cela ne veut surtout pas dire qu’ils soient plus sots que le Haut-Marnais moyen du début du troisième millénaire. Cela peut même rendre service, le long des rives du cours haut de la Marne, l’arithmétique des bords de la rivière Maici. Par exemple, un Piraha qui serait invité à une séance du Conseil général de Haute-Marne pourrait dire, sans se tromper, et sans vexer personne : «il y a beaucoup d’élus compétents, ici».

17 novembre :
Téméraire choucroute

Ami conseiller général, tu sais combien on t'aime, chez “Autrement”. On t'aime, et on te le prouve. Car on devine combien tes obligations d'élu de terrain sont astreignantes. On n'ignore rien de ton dévouement, à longueur de sonneries aux morts, de soirées crèpes d'association du troisième âge, de loto du club de bilboquet sur route, sans même évoquer l'inauguration des nouvelles toilettes au fond de la salle polyvalente de Villiercourt sur Mornont, où il te faut te fendre d'un discours bien senti.
Donc, ami conseiller général, on compatit. Mais là, contrairement aux autres fois, on ne se gausse pas de tes menues contrariétés quotidiennes. On t'aide.
Puisque Bruno Sido te demande d'aller à Brest affronter les embruns, la pluie, le vent au pire moment de l'année pour un téméraire jumelage avec un sous-marin on te glisse un tuyau : décommande pour cause de soirée choucroute du Téléthon. Il y fera plus chaud. Et tu sauras au moins où tu mets ton argent. Et le nôtre.

24 novembre
Lapsus

Plantons le décor : à ma gauche, le cheveu au cordeau, la cravate unie en érection, l'administration fiscale. À ma droite, le citoyen, vous, moi, contribuable assujetti à l'impôt, taillable et corvéa… STOP ! C'est fini. Dans la bouche des premiers, nous sommes officiellement devenus depuis la semaine dernière en Haute-Marne des USAGERS. Bercy beaucoup.
La nouvelle terminologie n'est pas encore entrée dans les mœurs. À la question d'un usager : «qu'est-ce que ce courriel pour vous contacter ?», la séduisante administration, tout sourire, de répondre naturellement : «c'est l'e-mail que peut utiliser le contribuable (si, si, il l'a dit texto) pour nous interroger».

Contribuables, contribuons donc au réchauffement des relations entre loups et agneaux.

1er décembre
Viagra

Amis ploucs, levons-nous et respectons une minute de silence – j'insiste : on peut lire en silence - à la mémoire des espoirs cruellement mortifiés de nos députés, promus le temps d'une raffarinade «parlementaires d'avenir».
Encore quarante-cinq secondes.
Ce désappointement soulève un problème récurrent pour l'avenir : le bougre se conjugue rarement au présent. Illustration : demain on rase gratis.
Encore trente-huit secondes.
Devinette de transition : qu'est-ce qui est rasoir, gratuit, et qui a eu lieu avant-hier ? L'assemblée générale de la Chambre de métiers. Enfin, pas QUE rasoir. Quelqu'un au bureau, a dit : «il y a deux fois moins d'artisans informatisés qui utilisent Internet en Haute-Marne qu'ailleurs en France».
Une voix, dans la salle, de lui rétorquer : «Y'a des métiers qui n'ont pas besoin d'Internet». Pas de doute, amis ploucs : nous sommes bien en Haute-Marne. Pour penser en 2004 qu'Internet, ça ne sert qu'à acheter du Viagra en toute discrétion, il faut avoir raté un train. Voire plusieurs. Internet est un prodigieux prolongement de nos sens. Et artisan ou pas, des sens en éveil, c'est mieux. Bien sûr, Beethoven, sourd, a écrit des chefs d'œuvre. Mais la surdité n'a jamais permis de profiter d'une minute de silence. D'ailleurs, c'est terminé.

22 décembre
2005

Ainsi débuta le dernier faux billet de l'année ; quelques lignes, des tâches d'encre sur du papier (pas un gramme de bois, pas un arbre abattu, ami lecteur écolo) pour tenter de donner du sens au temps qui passe.
2004 : la Haute-Marne a fait son trou. Ne t'abuse pas, ami lecteur écolo, il ne s'agit point de Bure. Notre département a pris place dans le cercle restreint des départements innovants en matière de formation initiale et de nouvelles technologies.
Au moment d'envisager l'an neuf, mieux vaut évoquer les projets porteurs que les vieilles querelles toujours ressassées. Nos atouts valent bien nos handicaps. On a assez trahi ici notre ressentiment quant à ces vieilles barbes d'élus léthargiques, quant à ces jeunes qui partent sans espoir de retour, ces maisons de retraites saturées. Saluons plutôt les projets qui conjuguent le concret au futur proche.