Justice : audience correctionnelle du 6 juillet 2004 - Chaumont.
Affaire Naulot : hôpital silence...

Qui a tué Jocelyne Naulot ? Une organisation administrative "aléatoire" ? La ruralité d'un département en voie de paupérisation ? Un accident ? Une maladresse ? Un incompétent ? La conjonction de tout cela ?
Lorsqu'elle entre au Centre hospitalier de Chaumont, le 2 juin 1998, pour y subir le lendemain une “banale” cœlioscopie, Jocelyne Naulot, jeune femme de 25 ans, ne se doute pas qu'elle ne reverra jamais ses trois filles et son mari. Elle est morte sur la table d'opération.
Deux médecins, Mamoun Sharaf, 50 ans, et Jean Lambert, 58 ans, comparaissaient hier matin devant le tribunal correctionnel de Chaumont pour homicide involontaire.
Les deux prévenus avaient demandé à ce que le centre hospitalier soit mis en cause. Le tribunal a décidé que l'éventuelle responsabilité de l'établissement chaumontais était d'ordre administratif. Cette mise en cause était donc irrecevable devant la juridiction qui officiait hier.
Restait donc un père de famille, veuf, et ses trois filles, venus réclamer justice ; venus tout simplement savoir, au terme de six longues années de procédure. Mais savoir n'est pas chose aisée lorsque le corps médical est impliqué.
Il l'est, impliqué. S'il n'est guère de certitudes absolues dans cette affaire, des faits troublants accablent au moins le Dr Sharaf : l'artère iliaque, sectionnée de part en part. La veine cave, qui a subi le même sort. L'intestin grêle, endommagé.
Trois questions
L'hémorragie sitôt déclenchée, dès les premières secondes de l'acte chirurgical, condamnait pratiquement Jocelyne Naulot à mort. Car un vide sidéral de compétence entourait le médecin. Seule l'intervention rapide d'un chirurgien vasculaire aurait pu inverser le destin. Le Centre hospitalier n'en compte pas parmi ses praticiens.
Il a fallu appeler, au terme d'une éternité infinie d'une quarantaine de minutes, le Dr De Rollat en poste à la clinique. La dizaine de litres de sang et de plasma transfusés à la malheureuse n'ont pas pu compenser la vacuité de tout le reste.
Tout le reste ? Ce reste régit par le blanc silence des approximations de titres, de fonctions, de compétences ? Le président l'a synthétisé en trois questions :
1) Fallait-il effectuer une cœlioscopie ?
2) Le Dr Sharaf pouvait-il la faire ?
3) Dans quelles conditions a-t-elle été faite, avec quelle garantie, et quels gestes ont donné la mort ?
On se doute bien que Madame le procureur et la partie civile n'ont pas apporté aux trois interrogations du tribunal les mêmes réponses.
Excédé par l'insistance du président à le pousser dans ses retranchements, Mamoun Sharaf a martelé ce qui passe pour une évidence à ses yeux : évidemment qu'il fallait faire une cœlioscopie, puisqu'il avait déjà fait procéder à quatre autres examens non invasifs. Evidemment, qu'il avait le droit de procéder lui-même à cet examen de diagnostic : il en a déjà fait 85, à la date de ce maudit 3 juin 1998. Jamais le moindre problème. Il avance ses titres, son expérience à La Pitié-Salpétrière. Manifestement sans convaincre le président : «vous n'êtes pas autorisé à exercer des actes chirurgicaux. Ne me dites pas que vous ne le saviez pas. […] On vous a donné des responsabilités que votre statut vous obligeait à refuser».
« Il fallait ouvrir. J'ai ouvert»
On évoque aussi – mais à mots couverts – l'ambiance délétère qui régnait à l'hôpital autour du Dr Sharaf, le refus de la Commission médicale de lui attribuer le poste qu'il espérait, en mars 1998. Silence. On tourne la page.
Donc, combattant pied à pied l'argumentation du président, le Dr Sharaf s'arme de ses certitudes : il fallait une cœlioscopie et il était évident qu'il devait la faire. Il la fait. Un peu seul, semble-t-il, mais la défense insiste : «le Dr Lambert est à quelques mètres, de l'autre côté de la porte».
De l'autre côté de la porte, le Dr Lambert n'a pas vu si le trocart était positionné à 45° ou à 90°. Il n'a pas vu si la pointe tranchante de l'appareil s'est ou ne s'est pas rétractée comme elle aurait dû le faire. Personne n'a vu LE geste.
Lorsqu'il entre, le Dr Lambert, l'hémorragie a déjà fait chuter la tension. «Il fallait ouvrir. J'ai ouvert» explique le Dr Sharaf qui ouvre transversalement. Des médecins diront qu'il aurait fallu une ouverture médiane. Mais la défense en cite d'autres…
Interdiction d'exercer
Le flot de sang est tel, sur la table de la maternité, qu'au bout de cinq à sept minutes, le Dr Lambert appelle le Dr Meiffert, en train d'opérer au bloc, dans un autre bâtiment. Celui-ci termine son acte, en une dizaine de minutes, puis se précipite vers la maternité.
Déjà du temps perdu. Il tente, à son tour, de secourir la malheureuse. En vain. Alors il appelle le Dr De Rollat qui arrive sur les lieux du drame au moins une heure après la lésion initiale.
Le président interroge le Dr Lambert : «Aviez-vous le personnel compétent pour faire une cœlioscopie ?». Une seconde d'hésitation, puis la réponse, presque chuchotée.
Accrochez-vous bien : «Beaucoup d'autres choses ne devraient plus être faites à Chaumont ! ». Les confrères apprécieront…
Aujourd'hui, le Dr Sharaf exerce à Annonay, «chef-lieu de canton d'un département * encore plus pauvre que la Haute-Marne» commente le président. Un Dr Sharaf qui encaisse l'allusion sans ciller. Songe-t-il, en cet instant, à sa première épouse, morte comme Jocelyne Naulot sur une table d'opération ?
Au terme de son réquisitoire, le procureur a demandé une peine de trois ans d'emprisonnement assorti du sursis et l'interdiction d'exercer son activité professionnelle. Quant au Dr Lambert, «il était censé savoir qu'il y avait des actes que son subordonné ne pouvait pas faire ; il est responsable indirectement du décès». Elle demande une peine d'un an d'emprisonnement assorti du sursis. Les deux avocats de la défense ont plaidé la relaxe : «le décès est accidentel». Le verdict sera rendu mardi 27 juillet.
Compte-rendu d'audience : Dominique Piot
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On saura le 27 juillet si les médecins sont jugésresponsables de la mort de Jocelyne Naulot.