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L'affaire Vauclard. Premier procès. Mai 2002.
Le milieu et tout autour
Accusé, levez-vous !
Il se lève ; les épaules restent voûtées, le regard
bas. Il a du mal à porter le micro jusqu'à sa bouche. Sans doute
parce que de sa bouche, on attend la vérité, on attend des phrases.
De phrases, on n'aura point. Il faudra se contenter de mots. Depuis l'âge
de 5 ans et demi au moins, Mickaël Vauclard est fâché avec
la vie. Il avait 5 ans et demi lorsque sa petite sœur est morte. Il avait
5 ans et demi lorsqu'il s'est fait violer dans une cave de la Rochotte. Son
père était déjà mort. On fait mieux, comme contexte,
pour s'épanouire à l'école et apprendre les mots.
Donc, ses mots à lui sont infiniment plus brefs et autrement moins variés
que ceux de la Cour.
Il manque de mots, mais pour mettre sur quoi ? Son horizon aussi est limité :
il n'est jamais sorti de Chaumont autrement qu'avec l'école. Quand d'autres
lisent Camus, lui se penche sur le moteur de sa mob. A plusieurs reprises,
hier, le président a corrigé son vocabulaire, pour se faire comprendre
par celui qui expliquait qu'avec untel, «y'avait jamais eu d'embrouilles» mais
que cette soirée là, «y'a eu des embrouilles». Le
docteur Darbourg explique qu'il dénote une immaturité affective
dominante, d'une déficiente intellectuelle légère mais
qu'il n'était atteint d'aucun trouble psychique au moment des faits.
Mickaël Vauclard est tout simplement le 6e enfant d'une fratrie de huit
de trois lits différents. Et chez ces gens-là, comme dit Jacques
Brel…
L'incomplétude
En condamnant Mickaël Vauclard, la Cour d'Assises a répondu aux
trois questions qui lui étaient posées. Mais pas à toutes
les questions qui se posent.
Le procès de Mickaël Vauclard est clos. L'affaire de Brottes aussi
? Prudence. Demeure au terme des débats un sentiment diffus d'inaccomplissement.
L'incomplétude plane entre les pages d'un trop volumineux dossier.
Un dossier qui s'apparente à une valise bourrée à la hâte
de vêtements en vrac : on ne peut plus la fermer ; elle est rétive
au bouclage. Il faut s'y prendre à plusieurs, la malmener, s'agenouiller
dessus pour… Pour rien. Alors on la rouvre et on ressort le linge. Un
par un, on reprend chaque vêtement. On trie. On plie. On range. On fait
de la place et, bon sang, bien sûr, on avait oublié ÇA,
que l'on ajoute. Et avec ÇA en plus, miracle, tout tient.
La presse n'a pas le droit de critiquer une décision de justice. Commentons-là,
cette décision. Expliquons-là, démontons-là : Sur
ce qui a été entendu et vu quatre jours durant, Mickaël
Vauclard ne pouvait qu'être condamné. Entendant les témoins
cités, ce qu'ils ont dit, la façon dont ils l'ont dit, n'importe
quel jury honnête aurait répondu oui à la question "est-il
coupable". Entendant Mickaël Vauclard dire ce qu'il a dit, la manière
dont il l'a dit, oui, répétons-le, n'importe quel jury, ailleurs,
l'aurait condamné.
Et cependant demeure l'incomplétude.
Non pas tant sur le rôle de l'accusé : lorsqu'il descend déterminé vers
l'affrontement, pour l'affrontement, au sein d'une bande armée de couteaux,
ce n'est pas pour vérifier la cuisson des côtelettes sur le grill.
Il n'est là que pour cela : se battre. Ils ne sont là que pour
cela : se battre. ILS. Ce pluriel n'est pas innocent.
Les témoins ne s'entendent vraiment que sur un point : cela se bat de
tous les côtés. Tous disent : vingt à trente personne.
La nuit. On appelle cela la confusion.
Franck Lebeuf s'effondre. Mickaël Vauclard sort de la mêlée,
armé de son couteau, du sang, son propre sang – mais il l'ignore
- sur sa main, sur ses vêtements. Il déclare : «j'en ai
planté un». Mettez-vous à la place des jurés !
La confusion gagne les esprits qui oublient de se demander : et toutes les
autres mains, tout aussi crispées sur un manche de couteau ? On en fait
quoi ? N'avaient-ils pas les mêmes sinistres desseins que Mickaël
Vauclard, ceux-là ? Le moins bien bâti de la bande aura le dos
le plus large. Cela tombe bien : c'est aussi le moins futé (doux euphémisme)
et il reconnaît tout.
C'est tellement pratique, un suspect comme ça, tellement rassurant,
une telle évidence, qu'on ne songe pas à pousser dans ses retranchements
tel autre, qui a tout vu (malgré la nuit), que personne n'a vu (forcément,
dans la nuit…), et qui va dissimuler son couteau chez un copain alors
que personne ne lui demande rien. L'incomplétude.
Entendons-nous bien : elle n'innocente pas plus Mickaël Vauclard que l'absence
du sang de la victime sur la lame de son couteau. Mais si on avait analysé toutes
les lames de tous les couteaux présents lors de l'affrontement, l'incomplétude
serait moindre.
L'incomplétude, c'est l'absence de recherche de substances hallucinogènes
dans le sang du suspect le matin du drame, alors qu'il prétend avoir
consommé de la drogue la veille au soir. La certitude, c'est la présence
de Mickaël Vauclard, dans un état second, armé d'un couteau
de chasse, là et quand tombe Franck Lebeuf. L'incomplétude, c'est
l'amnésie du reste de la bande.
L'incomplétude, on la doit aussi, peut-être d'abord, à l'accusé lui-même.
On ne peut pas se défendre plus mal. Cela frôle la mortification.
Est-ce la bêtise, un code d'honneur malséant ou d'obscurs ressorts
d'une âme torturée qui l'empêchent de déclarer devant
ses juges ce qu'il confie au parloir ?
Mickaël Vauclard a encore une semaine pour faire appel, pour en appeler à l'incomplétude.
Second procès. Mars 2003. Besançon.
Mickaël Vauclard
nie mais les faits sont cruels
Le procès en appel de Mickaël Vauclard a débuté hier à Besançon.
Les douze jurés dont cinq femmes ont entendu le rappel des faits et
les premières explications, maladroites, de l’accusé, destabilisé par
Mme Credoz, la présidente.
Besançon - Les cheveux soigneusement tirés en arrière,
nerveux, contractant sans cesse les machoires, Mickaël Vauclard a assisté hier à la
première de trois journées d’audience qui seront décisives
pour la suite de sa vie. Physiquement, le jeune chaumontais a muri durant les
dix mois qui nous séparent du procès de Chaumont. Au terme de
celui-ci, il avait été jugé coupable et condamné à 18
ans de prison. Il n’a pas changé de méthode de défense
et se déclare innocent.
Hier, avec beaucoup d’intelligence, la présidente s’est
employée dès l’ouverture du procès à dépassionner
les débats. Dans ses propos liminaires, elle a une pensée pour
Franck Lebeuf et sa famille : «je ne sais pas si la souffrance s’apaise
; Franck sera bien présent durant toute l’audience». Mais
elle a aussi rappelé, en parlant de Mickaël Vauclard, que «les
hommes que l’on juge font toujours partie de notre humanité».
Elle a aussi insisté pour que la mère de l’accusé puisse
assister à l’intégralité des débats.
«
Qu’est-ce que vous ressentez» demande la présidente d’emblée
au prévenu
«
C’est triste [...] Mais rien ne dit que c’est moi»
Cette phrase pourrait résumer les débats d’hier, du moins
la position de Mickaël Vauclard. Car si lui affirme que ce n’est
pas lui, les témoignages entendus hier ont été accablants.
Les témoignages des policiers qui ont mené l’enquête
ont permis à la Cour d’évoquer les premiers aveux de l’accusé.
Plusieurs fois, est revenue aussi la phrase “putain j’en ai planté un”,
phrase entendus dans la bouche de Mickaël Vauclard par sa propre sœur. «C’est
ma sœur qui le dit ; pas moi» répond seulement l’accusé.
«
Au début, je pensais que c’était moi»
Un des inspecteurs revient sur les indices : «plusieurs personnes ont
vu Mickaël Vauclard exhiber son couteau avant la bagarre. Deux l’ont
vu le tenir durant la bagarre» Et le lieutenant de police d’évoquer
déjà le témoignage à charge de Francis Pirès,
le seul officiellement à avoir vu et assurément le seul à avoir
dit qui Mickaël Vauclard était bien celui qui avait donné le
coup de couteau.
A plusieurs reprises, la présidente n’en a pas seulement appelé aux
faits ou à ce que chacun croit qu’ils sont mais aussi aux sentiments,
aux émotions, des témoins - proches de la victimes - ou de l’accusé.
Les questions ont souvent été bien plus pertinentes qu’elles
n’avaient été à Chaumont. Le problème, c’est
que Mickaël Vauclard ne les comprenait pas toutes. Dès hier, on
s’est étonné de l’amnésie collective de ceux
de la Rochotte qui étaient là - parfois armés de couteaux
- mais qui n’ont rien vu. Dès hier, le médecin légiste
a été amené à s’exprimer sur l’absence
de sang de Frank Lebeuf sur le couteau de Mickaël Vauclard. Dès
hier, l’accusé a repris son système de défense : «au
début, je pensais que c’était moi». Dès hier,
dès les premières heures, il y eut beaucoup d’émotion
et tous les points forts du premier procès ont été évoqués.
«
Il va falloir vous expliquer» a clairement dit la présidente à Mickaël
Vauclard, espérant sans doute qu’il avoue.
La journée d’aujourd’hui sera consacrée, le matin, à l’examen
de la personnalité de Mickaël Vauclard, et l’après-midi à l’audition
des témoins “essentiels”.
L’affaire Vauclard à couteaux tirés
Mickaël Vauclard ne dit pas : «je suis innocent» mais plutôt
: «il n’y a pas de preuve contre moi». La journée
d’hier, passionnante, a connu plusieurs “épisodes parfois
intenses et émouvants.
La longue jurnée d’hier a comporté trois parties bien distinctes.
La première, en matinée, fut celle des mots difficiles. Il les
cherche, ses mots ; la présidente l’invite à s’exprimer.
Il refuse, préfère attendre la fin des dépositions.
«
- Ce n’est pas vous qui allez mener les débats.
- C’est triste.
- C’est un peu maigre, un peu facile. Votre attitude me pose vraiment
problème.
- (...)
- Parlez-moi de votre vie
- Rien de spécial, à part la misère. Mais j’ai pas
trop envie de parler de ça».
Mickaël Vauclard n’a pas envie de parler de quoi que ce soit. Même
quand la présidente, irritée, insiste. Il esquive, ou refuse
le dialogue. La parole, ça n’est pas son truc. Les mots ne font
pas partie de son univers. Surtout ceux de la Justice. Il ne parvient même
pas à évoquer sa fratrie. La présidente doit lui arracher
les mots de la bouche :
«
- Vous avez une petite sœur qui est décédée ?
- Oui
- Quels souvenirs avez-vous d’elle ?
- (...)
- Vous y pensez ?
- Ça m’arrive.
- À 5 ans, vous avez été abusé suxuellement par
un garçon plus grand que vous...
- (...)
- Vous y pensez encore ?
- (...)
- Vous en avez parlé après ?
- (...)
- Plus jamais ?
- (...)
Souvent, le silence répond aux questions. La présidente insiste
:
«
- Quelle est votre qualité ?
- J’ai un grand cœur.
- Votre plus grand défaut ?
- Têtu.
- Le pire de vos souvenirs ?»
Mickaël Vauclard essuie une larme.
« - Mon enfance.
- Et votre souhait ?
- Revenir en arrière.
- Quand ?
- Très loin.
- C’est quand, très loin ?
- Mon enfance».
Le retour de “l’Arabe”
La seconde partie est celle du silence. Car durant la suspension de la mi-journée,
Mickaël Vauclard prend connaissance d’une lettre de rupture de sa
petite amie. Il entre totalement prostré dans le box, sans dire un mot.
Ce silence dure une heure et demie. Une heure et demie durant laquelle les
débats poursuivent leurs cours avec notamment la déposition d’un
témoin qui a entendu Mickaël Vauclard dire et répéter
: «je l’ai planté !».
La donne change avec le témoignage du compagnon de la sœur de l’accusé.
Lui insinue très clairement que certains «ont des choses à se
reprocher». Et dans “certains”, tout le monde entend : Francis
Pirès.
Mais le témoin complique plus encore la situation en impliquant «un
arabe». «Mais je ne suis pas raciste» ajoute-t-il.
Extrème tension
Mais Mickaël Vauclard se resaisit : «j’en a plus rien à foutre» lâche-t-il.
Il se lâche et parle. Ses propos sont confus, certes, mais il parle :
de la prison, de son enfance, de l’inégalité des chances
des justiciables selon leur origine sociale. Avec ses mots, il rejoint La Fontaine.
Tout le monde est suspendu à ses lèvres. Il parle plus en vingt
minutes que durant les trois jours du premier procès à Chaumont.
Le proces rebondit. Non pas sur le fond, mais sur la forme : l’accusé s’exprime.
On revient alots aux couteaux. Aux deux couteaux : celui de Mickaël, de
loin le plus grand, et celui de Francis Pirès, celui qui est passé durant
quelques jours de mains en mains après le drame. L’huissier prend
un couteau dans chaque main et les exhibe, afin que tout le monde voit et compare.
La tension est extrême.
Le geste de trop
Elle ne faiblit pas avec le témoignage très attendu de Francis
Pirès qui, pour les Vauclard, ferait volontiers office d’accusé de
substitution. Un Francis Pirès victime de trous de mémoire, comme
paralysé par la solennité et l’enjeu de l’instant.
Il ne se souvient plus à quelle distance il était de la bagarre,
alors qu’il a “tout vu”. Il ne dit pas non plus pourquoi
il mçonte dans une voiture, puis une autre. Il n’explique pas
plus pourquoi il se débarasse de son couteau. Le procès peut
basculer. «Mickaël est mon meilleur copain». Il le regarde
: «Je t’ai vu donner un coup de couteau». Longuement, nettement
plus longuement qu’à Chaumont, Me Cotillot l’interroge et
tente de le destabiliser. La présidente intervient : «on ne va
pas culpabiliser un témoin !».
Francis Pirès évoque des menaces, qu’il ne parvient pas à définir.
Par peur ? Au moment où il quitte la barre, un des proches de Mickaël
Vauclard, depuis la salle, pointe son bras, deux doigts tendus, vers Francis
Pirès et fait mine de le mettre en joue. Il fait ce geste en regardant
l’accusé. Mais l’avocat général le voit et
dénonce ce qui passe effectivement pour une menace, accréditant
du coup la thèse de Francis Pirès. En une fraction de seconde,
un geste malheureux annule le bénéfice que l’accusé pouvait
tirer des trous de mémoire du témoin.
Intense dialogue entre mères
Il était dit que les moments “forts”se succèderaient
hier. Cette fois, c’est à la mère de l’accusé d’être
appelée à la barre. C’est en maman qu’elle s’exprime.
Mais elle tourne le dos à la présidente et s’adresse à la
maman de Franck, la victime :
«
- Je vous le jure, tous les jours, je pense à votre fils
- Mais il n’est plus là. Le vôtre sera libre un jour».
Mickaël Vauclard interrompt le dialogue qui s’instaure entre deux
femmes que tout oppose mais que réunit l’indicible souffrance.
«
- Mickaël, je te prie de te taire !» L’ordre est net. Le fils
se tait.
Le dialogue mère-mère, intense, devient mère-fils. Elle
parle à son enfant. Il serre la machoire. Il tente de se justifier.
Mal.
L’audience d’aujourd’hui sera esssentiellement consacrée
aux plaidoiries. Me Cotillot, pour l’accusé, a gardé “des
cartes”. La présidente semble s’être forgé son
opinion. L’avocat général n’est que rarement intervenu,
mais souvent avec pertinence. Mickaël Vauclard sera fixé, ce soir à Besançon,
sur son sort.
Mickaël Vauclard condamné à 16 ans de réclusion
Jugé en appel à Besançon pour avoir mortellement blessé Franck
Lebeuf d’un coup de couteau à l’issue d’un bal à Brottes
en juin 1999, Mickaël Vauclard a été condamné à 16
années de réclusion.
Besançon - Les trois jours d’audience qui ont pris fin hier soir
ont été denses, comme à Chaumont. Mais les différentes
parties et notamment la défense ont nettepent moins misé sur
l’émotion, fondant cette fois aussi leurs arguments sur la raison.
Me Michel, pour la partie civile, s’est d’emblée adressé aux
jurés en ces termes : «je plaide pour vous. Lequel d’entre
vous n’est jamais allé dans une fête de village ? Ce drame,
vous, vos enfants auraient pu le vivre». Et dès les premières
minutes de sa plaidoirie qui en comptera 55, il saisit le couteau. À maintes
reprises, il le prendra, le montrera. «Il y a un individu qui va mettre ÇA
dans sa poche. Résultat : un mort. Éventré. Il va mourir
après trois semaines». Le ton est donné. MPe Michel ne
mâche pas ses mots. Il regarde Mickaël Vauclard, totalement immobile. «Soutenir
qu’on est innocent parce qu’il n’y a pas de preuve, c’est
ajouter le mépris à l’horreur».
Et l’avocat de la famille Lebeuf de retracer le déroulement des
faits de cette nuit maudite. «Ils sont descendus dans le but de se battre.
Lui, il sait qu’il a une arme, il montre qu’il a une arme. Il veut
s’en servir. Il va s’en servir.»
Me Michel est le premier à évoquer Francis Pirès. Tous
vont le faire. «Il n’y a pas que Pirès qui a vu. Mais il
n’y a que lui à le dire.» L’avocat chaumontais élargit
alors son propos sur le sentiment d’insécurité. Avant de
conclure, il resaisit le couteau, le brandit, refait LE geste. Sa fin de plaidoierie
est axée sur l’émotion. «18 ans, je n’ai pas
l’impression que ce soit une peine exagérée [...] N’oubliez
pas : la victime, c’est Franck. Je vous confie temporairement sa mémoire».
Il est responsablee de ses actes
Le jeune avocat général se montre ensuite à la hauteur
de sa réputation. Lui aussi intervient en un peu moins d’une heure. «Mickaël
Vauclard est un meurtrier sans le vouloir, mais ce n’est pas un criminel
par hasard. Mickaël Vauclard est coupable. Mickaël Vauclard est le
seul coupable. Il a avoué et les circonstances prouvent qu’il
est coupable». À son tour, Olivier Caracodch redéroule
le “film” des événements avec l’éclairage
qui sied à l’accusation : «Il a avoué avoir frappé de
bas en haut avant les constatations médico-légales qui l’ont
confirmé. Il commence à comprendre la réalité de
son geste. C’est pourquoi il nous dit aujourd’hui : “je ne
suis plus sûr que c’est moi”.»
Puis il se tourne vers l’accusé. Il le fixe. «Je n’ai
pas besoin de vos aveux. Vos aveux, ils sont importants pour la famille de
Franck. Pour vous».
L’avocat général insiste du regard. «Tout l’accuse.
Tous l’acccusent. Ça me suffit.»
Il ne s’attarde guère sur l’expertise d’ADN et évoque
avec plus d’insistance “l’hypothèse Pirès” : «C’est
le bouc émissaire parfait. Comme on ne peut pas vous convaincre qu’un
coupable est innocent, on va vous convaincre qu’un innocent (ndlr : Pirès)
est coupable. Et si Pirès ne suffit pas, il y a l’Arabe, lui aussi émissaire
parfait. La fin tragique de cette soirée, elle était écrite
[...] Ils venaient pour ÇA. Et dans le “ils”, Mickaël
Vauclaard n’est pas le dernier. Il fallait qu’il frappe parce qu’il
avait dit qu’il le ferait. Peu importe qui ! En mettant le coup de couteau,
il s’affirme au sein du groupe. Il est totalement responsable de son
acte.»
Reprochant à l’accusé d’avoir pleuré à l’audience
après avoir pris connaissance d’une lettre de rupture de sa petite
amie, mais par lors de l’évoquation de l’agonie de Franck,
par exemple, l’avocat général a finalement recquis seize
années de réclusion criminelle et à l’interdiction
de mettre les pieds à Brottes durant dix ans après sa sortie
de prison.
Un coupable ou le coupable ?
Lorsque Me Cotillot a pris la parole, elle seule savait qu’elle en aurait
pour presque trois heures. D’une vois posée, modulée mais
sans effets, Sylvie Cotillot a plaidé tout autrement qu’elle ne
l’avait fait à Chaumont. Chacune de ses phrases était ponctuée
d’un silence, qui en permettait l’appropriation. À Besançon,
la méthode a pris le pas sur le lyrisme.
L’avocate chaumontaise a d’abord rappelé aux jurés
leur mission : sanctionner, ni dans la haine, ni dans la peur, mais dans l’intime
conviction. «C’est là tout le nœud de ce dossier. Mickaël
Vauclard est un coupable possible. Mais est-il LE coupable ?»
La première partie de sa plaidoirie a consisté à brosser
le portrait de son client, se servant à dessein d’une lettre que
l’accusé avait adressé à sa mère : «Quand
Franck est décédé, je me suis dit que Dieu n’existait
pas. S’il existait, il aurait exhaucé mes prières et sauvé Franck».
L’avocate tente de le rendre humain : «son surnom, c’était
la crevette». Puis elle précise, ostensiblement à l’attention
des jurés : «ce n’est pas parce que l’on se défend
mal devant une cour d’assises que l’on est mauvais. Allez au-delà des
apparences».
Quatre points lui permettent de préciser le portrait qu’elle fait
de l’accusé :
- l’amour “imparfait” de sa mère
- le viol dont il a été victime à 5 ans et demi. «Il
n’a jamais pu le dépasser».
- le décès de sa petite sœur.
- La séparation et la mort de son père.
«
Tout ceci n’explique pas sa structuration mentale. Mais ce gamin n’est
pas capable d’une construction intélectuelle machiavélique
[...] Sa position n’est pas un système de défense. C’est
un processus de recherche de la vérité.
Il ment
Sylvie Cotillot a mis à profit la seconde partie de sa plaidoierie pour évoquer
l’instructions et ce qui passe à ses yeux pour des lacunes. «Il
y avait plein de couteaux, ce soir-là. Leurs propriétaires n’ont
même pas été convoqués devant le tribunal pour port
d’arme». Plus tard, elle s’étonnera que le couteau
de Francis Pirès n’ait jamais fait l’objet d’une expertise.
Puis elle ouvre une première parenthèse, consacrée aux
aveux, en général, à ceux de Mickaël Vauclard en
particulier, que les experts ont décrit comme suggestible. «Il
est persuadé que c’est lui qui a blessé quelqu’un
car Franck n’est pas encore décédé.»
L’avocate rappelle aussi que Mickaël Vauclard avait avoué aussi
le coup de couteau qui a blessé Romain Desprez. «Il avait même
fourni des détails». L’enquête a prouvé par
la suite qu’il n’y était piour rien.
Arrive le tour de “l”hypothèse Pirès”. On l’attendait.
Sylvie Cotillot explique «que son témoignage n’est pas crédible
et le geste qu’il mime ne correspond pas à la blessure de Frank
Lebeuf.
L’avocate s’était longuement exprimé. Elle reprend
cependant le dossier à zéro et étudie, démonte
chaque élément à charge.
Les aveux : «il est prêt à mentir pour se valoriser dans
sa noirceur».
Les témoignages : «Sur un seul témoin, un seul a dééclaré l’avoir
vu faire le geste». C’est Francis Pirès.
Alors elle revient sur celui-ci. Pourquoi a-t-il changé de véhicule
? Pourquoi a-t-il voulu éviter la police ? Pourquoi se débarrasse-t-il
de son couteau ? «Monsieur Pirès ment». Pour le moins, ses
versions se contredisent-elles parfois.
Zones d’ombre
Sylvie Cotillot rappelle aussi que quatre des couteaux retrouvés étaient
des couteaux “à longue lame”. Elle cite ceux qui les portaient,
absents au procès.
Un des moments forts de sa plaidoierie restera son évocation des expertises.
Avec force détails techniques, elle explique que les experts ne se sont
pas contentés de prendre deux taches de sang sur un couteau de Mickaël
Vauclard. Ils ont méthodiquement étudié ce couteau, mais
aussi les vêtements de la victime et de l’accusé, les baskets
de Franck.
L’expertise est formelle : le sang trouvé sur la chemise et le
couteau de Mickaël Vauclard est le sien. Le sang trouvé sur la
chemise et les baskets de Franck Lebeuf est celui de Franck Lebeuf. Mais aucun
de deux n’était porteur du sang ou de traces d’ADN de l’autre. «Alors,
s’il y avait eu empoignade...».
Sylvie Cotillot insiste : «un couteau qui pénètre ainsi
un corps ne peut pas s’essuyer complétement uniquement en sortant
de la plaie». L’avocate en conclut : «l’expertise ne
permet pas de dire qu’il est coupable».
Elle tente de semer le doute dans l’esprits des jurés qui écoutent
et prennent des notes. Parce qu’elle est persuadée avoir démontré «qu’il
n’y a pas la preuve de la culpabilité de Mickaël Vauclard,
parce qu’elle demeure intimement persuadée que «l’on
n’a pas exploré toutes les pistes et qu’il y a des zones
d’ombre, elle demande l’acquittement. Comme à Chaumont. «Moi,
je vous confie Mickaël Vauclard. Le déclarer coupable serait une
injustice».